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Les partis et les idées malades de la démocratie

Dans l’une de ses chroniques récentes, mon excellent collègue Pascal Holenweg appelait la gauche à sauver l’Entente genevoise, au nom de la démocratie et de l’indispensable débat politique. Je l’en remercie et accepte volontiers son offre. L’Entente est en effet souffrante et aucune aide n’est à négliger, même quand elle vient de l’adversaire. Une petite question toutefois : une Entente boiteuse peut-elle être secourue par une Alternative paralytique ?
Je m’explique.
Après douze ans d’engagement politique plutôt intense à tous les niveaux, je constate avec inquiétude le déclin des partis - de tous les partis traditionnels, qu’ils soient de droite ou de gauche - tant sur le plan des idées, des programmes que de leurs structures internes. La Guerre froide avait au moins ceci de bon qu’elle obligeait les partis à développer des idées, des programmes, des idéologies, au sens noble et moins noble de ce mot, ainsi que de fortes capacités de mobilisation, confrontés qu’ils étaient au contre-modèle communiste. A cette époque, le libéralisme par exemple possédait encore une authentique armature intellectuelle et n’était pas qu’une posture pratique pour couvrir un laisser-faire débridé. Vingt ans après la disparition de l’Union soviétique et la conversion de la Chine au capitalisme d’Etat, le débat idéologique a pratiquement disparu. Le terme même d’idéologie est devenu pire que suspect : il fait carrément ringard. A partir de là, le débat d’idées, qui est censé le remplacer, est vite tombé dans la médiocrité et les querelles insignifiantes de territoires et de chapelles. Et sans idées, les programmes ont rapidement tourné au catalogue de mesures pragmatiques fluctuant selon les aléas du moment et les caprices de l’opinion.
Exit donc l’idéologie et les idées.

Restent les partis, seules structures pérennes de la vie politique, et qui ont au moins l’avantage de s’appuyer sur une histoire, des combats, des réseaux d’amitiés et de soutiens, une composition sociale donnée. Mais les partis, qui devraient pourtant constituer l’ossature de la vie politique et les piliers de la démocratie, sont aussi exsangues. A gauche comme à droite. Une assemblée de parti, c’est 60 ou 80 personnes la plupart du temps, 200 personnes très exceptionnellement, quelle que soit la couleur, rose, bleue, orange ou verte. Et sans débat d’idées, ils sont de plus en plus réduits à défendre des intérêts particuliers ou de caste. Les uns défendent les banques, les promoteurs immobiliers ou les petits commerçants, les autres les grenouilles et les fonctionnaires de l’instruction publique. On protège les acquis, on essaie de pousser des petits avantages ici ou là, d’avancer un pion pour une place à prendre. Mais cherchez la vision globale et l’intérêt général, vous ne les trouverez guère.
Et pourtant, le pire, c’est que les gens sont souvent sincères, ils se donnent beaucoup de peine, ils dépensent du temps et de l’énergie, ils s’engagent, à droite comme à gauche, et ne sont pas plus égoïstes aujourd’hui qu’hier. Mais les individus sont impuissants à enrayer cette perte lente et inexorable de substance.
Il est vrai que, dans ce déclin, les partis du centre avaient une longueur d’avance, en raison de leur ancienneté et de leur position défavorable sur l’échiquier politique qui en fait les premières victimes de la polarisation. Mais la gauche est en train de perdre son léger avantage idéologique et organisationnel. L’usure atteint le parti socialiste, qui n’a plus grand’chose de neuf à proposer, et elle menace déjà les Verts, qui sont pourtant encore dans leur phase printanière.
Les gains ou pertes de sièges des uns et des autres, ici ou là, ne doivent pas faire illusion : sans révolution de fond, la tendance à long terme est défavorable pour tous. Dans ce climat plutôt déprimant, les seuls partis à tirer leur épingle du jeu sont l’UDC et les surgeons populistes locaux comme la Lega ou le MCG. Pour une raison simple: ils sont su réinsuffler de l’idéologie - bas de gamme mais bien réelle hélas - dans leurs discours et attirer de nouveaux membres parce qu’ils n’ont pas, ou donnent l’impression de ne pas avoir, d’acquis, de clientèles, de privilèges à défendre.
Il y a là, pour tous les partis classiques, matière à réflexion : non pour s’inspirer des idées et des slogans de ces mouvements, mais pour tirer les leçons de leurs succès, qui risquent de durer encore.
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