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La sécurité contre paix civile

En votant l’inscription de l’état d’urgence et de la déchéance de la nationalité dans la constitution, la France vient donc de rejoindre les Etats-Unis, la Chine et la Russie dans la liste des Etats qui font passer la sécurité avant les libertés. Du Patriot Act à la répression des islamistes ouïgours ou tchétchènes, la fièvre sécuritaire empoisonne aussi les organes des Etats qui s’enorgueillissent d’être parfaitement libres et démocratiques.
C’est inquiétant.
En tout premier lieu, parce qu’il s’agit d’une défaite, dans la mesure où, en consacrant la possibilité d’un régime d’urgence sécuritaire comme un des fondements de la nation, on renonce au vieil objectif de paix et de concorde civile qui était à la base du contrat social et de la relation entre l’Etat et le citoyen. La paix et la sécurité sont en effet deux choses très différentes : la paix civile a pour principe une société pacifiée et sans arme tandis que la sécurité est une paix armée au mieux ou une guerre sans batailles au pire. La sécurité est donc le résultat d’un échec et d’une capitulation : l’objectif de la paix étant reconnu hors d’atteinte, on place la nation dans une sorte d’état de guerre permanent, même si c’est de basse intensité.
On peut difficilement considérer cela comme un progrès. Il s’agirait plutôt d’un retour au Moyen-Age, aux temps des condottiere, de la piraterie et des bandits de grand chemin.

Le deuxième danger est que cet objectif de sécurité, supposé répondre à une menace ponctuelle – le terrorisme islamiste en l’occurrence – se transforme rapidement en idéologie totalitaire. De moyen de lutte contre un ennemi identifié, le moyen finit par se transformer en fin en soi, en état permanent censé lutter contre des ennemis devenus anonymes. Des intérêts politiques et économiques se mettent en place, la machine idéologique servant à justifier l’état d’urgence sécuritaire permanent commence à tourner et l’Etat se met à se méfier de tout le monde, y compris de ses propres citoyens, comme en témoigne l’écoute généralisée du monde entier par la NSA. Et le poison sécuritaire étant diffusé à doses homéopathiques, le corps social et politique finit par trouver cette situation tout à fait normale.
Troisième engrenage fatal, le risque que l’Etat renonce à son « monopole de la violence légitime » comme disait le sociologue allemand Max Weber. La sécurité, et l’insécurité qui est sa face obscure, étant des concepts flous, les contours du combat pour la sécurité sont nécessairement mal définis eux aussi. Qui faut-il charger de la lutte contre l’insécurité ? L’Etat, dont c’est la mission fondamentale ? Le secteur privé, dont les entreprises de sécurité civile et militaire ne cessent d’ailleurs de proliférer ? Ou les deux à la fois et en même temps, comme c’est de plus en plus souvent le cas tant aux Etats-Unis qu’en Europe ?
Ces risques ne sont pas abstraits. Sur les théâtres de guerre extérieurs, on assiste à une explosion des guerres par procuration, avec la multiplication des sociétés de mercenaires et de combattants importés, estampillés djihadistes ou rebelles modérés suivant des intérêts de ceux qui les paient. Sur le front intérieur, il est devenu banal de confier les prisons (aux Etats-Unis en tout cas) et la sécurité des bâtiments privés à des gardes privés armés. Un pas irréversible aura été franchi quand les Etats auront renoncé au service militaire obligatoire et, pour la Suisse, à la détention du fusil militaire dans les greniers : l’Etat aura alors définitivement renoncé à son monopole de la violence légitime et les citoyens perdront peu à peu toute influence sur la politique de défense et de sécurité.
Tout cela a été finement observé par un grand philosophe musulman du début XVe siècle, Ibn Khaldun, dans son commentaire sur l’évolution des Etats et des empires musulmans de son temps. A méditer.

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