La Russie, future grande puissance agricole
Et si les ressorts de la puissance de demain ne reposaient plus sur l’énergie mais sur l’agriculture ? Plusieurs indices militent dans ce sens. La déprime des cours du pétrole mais aussi de l’électricité ne résultent pas seulement d’une crise conjoncturelle, mais d’une évolution en profondeur des structures de production de l’énergie. Et d’autre part, la course frénétique à laquelle se livrent les multinationales et les pays les plus peuplés de la planète comme la Chine, la Corée ou le Japon pour l’acquisition de terres agricoles en Afrique, en Amérique latine ou en Ukraine devrait aussi inciter à réfléchir. Proche de nous, l’exemple d’un Jean-Claude Gandur qui a fait sa fortune dans le trading du pétrole et réinvestit aujourd’hui sa fortune dans l’acquisition de domaines agricoles en Afrique de l’Ouest n’est pas un hasard et encore moins un caprice.
Les changements climatiques, qui désertifient des millions d’hectares de bonnes terres chaque année, les ravages de la construction qui ruinent à jamais les meilleures surfaces agricoles, la quasi-disparition des forêts tropicales, la raréfaction du poisson et des ressources halieutiques et l’augmentation de la population mondiale qui s’accroit d’un milliard d’habitants tous les dix ans pourraient bien faire de l’alimentation et de l’agriculture les moteurs de la croissance économique de demain, reléguant l’énergie au second rang.
Or, dans cette transformation invisible de la structure même de la planète, la Russie se place en pole position. Le réchauffement climatique lui profite en ouvrant à la culture d’immenses espaces potentiels de terres agricoles et en libérant les voies maritimes de l’océan Arctique. De façon plus conjoncturelle, les sanctions et la chute des prix du pétrole et du gaz lui rendent indirectement service, même si elles affectent lourdement sa croissance à court terme. Obsédée par sa russophobie pavlovienne et sa vision à court terme, la majorité des médias et la presse économique financière n’a d’yeux que pour la contre-performance de l’économie russe l’an dernier, avec son -3,8%. Et de pronostiquer le pire pour l’avenir.
Mais c’est se tromper sur les changements en cours, notamment dans l’agriculture. En 2015, les exportations de software et de produits agricoles russes ont explosé et la production de blé russe a même passé devant celle des Etats-Unis et du Canada, principales puissances agricoles mondiales.
Cette évolution n’est pas seulement due au taux de change rouble/dollar et aux sanctions mais aussi à un changement de la politique gouvernementale, longtemps axée sur l’énergie.
En 2001, un nouveau code agricole a été introduit, favorable aux fermiers privés. Privé de soutien, incapable d’investir et soumis à la concurrence de l’agriculture low-cost occidentale gorgée de subventions de Bruxelles, le secteur agricole russe est longtemps resté à la traine. Mais en 2012, le gouvernement a pris toute une série de mesures pour encourager les paysans et promouvoir l’agriculture privée : prêts préférentiels, contrôle des prix des engrais, soutien aux fabricants nationaux de matériel agricole et développement des infrastructures de conditionnement et de transport, qui ont toujours été le maillon faible de l’agriculture russe.
Le président Poutine envisage l’autosuffisance alimentaire de la Russie en 2020. La filière bovine et laitière, notablement insuffisantes, sont en plein redressement. En 2015, des cow-boys américains ont même été invités en Russie pour y conseiller l’élevage bovin, à l’appel de la société Miratorg, qui possède 3 millions d’hectares et 315 000 bovins dans la région de Briansk.
Enfin, la Russie possède aussi un grand potentiel de développement dans les produits bio, très tendance sur les marchés occidentaux. La déréliction dans laquelle elle était tombée depuis une trentaine d’année l’a en effet préservée de la dévastation par les pesticides et les insecticides qui polluent l’agriculture intensive d’Europe et d’Amérique du Nord. Mangez des bonnes pommes russes bio pourrait bientôt devenir très fashion.
L’an dernier, les exportations de blé russe ont dépassé les 20 milliards de dollars et devancé celles de la vente d’armes. En 2016, on s’attend à augmenter les exportations de blé à 23,5 millions de tonnes alors que les exportations canadiennes et états-uniennes devraient plafonner à 20,5, et 21,8 millions de tonnes. Selon le Wall Street Journal, la Russie est en train de devenir durablement la première puissance exportatrice de céréales. Les marchés d’Asie et du Moyen-Orient, comme l’Egypte, sont au cœur de la cible des clients demandeurs.
Pour l’agriculture occidentale, et notamment européenne, le défi est immense, car elle risque de se faire évincer des marchés mondiaux en quelques années. Raison pour laquelle l’Europe pourrait bien lever les sanctions contre la Russie (et mettre une sourdine à son agitation en Ukraine) afin de faciliter l’exportation de ses produits subventionnés en Russie et enrayer le développement du secteur agricole russe. Une guerre des prix s’ensuivra dont il n’est pas certain qu’elle l’emporte puisque les paysans russes calculent leurs coûts en roubles alors que les prix des matières agricoles sont libellés en dollars ou en euros sur les marchés mondiaux.
Quant aux Suisses, tout cela ne devrait pas leur déplaire : avec son agriculture de niche, la Suisse n’aura pas à souffrir de la concurrence des paysans russes. Et ses produits de niche, comme les fromages, restent des musts absolus en Russie. En 2014, le stand de fromages suisses au marché de Noël de Moscou a été dévalisé en quelques heures sur la semaine prévue. Et les Suisses produisent désormais des crus parmi les meilleurs de Russie, à l’initiative de Renaud et Marina Burnier, qui pendulent entre le Vully et la région d’Anapa au pied du Ca