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Qui restera pour sauver la presse suisse?

Fin août, en commentant le regroupement des rédactions des journaux Tamedia sous un seul toit à Lausanne et la fin de l'autonomie rédactionnelle de la Tribune de Genève, de 24 Heures et du Matin Dimanche, Le Temps appelait à ouvrir le débat sur l'avenir des médias en Suisse romande. Dont acte.
Ce qui est en jeu dans cette opération, c'est moins le déplacement de quelques dizaines de journalistes à Lausanne qu'un vrai changement de paradigme. Car contrairement à ce qui s'est passé jusqu'ici, où l'on taillait dans les effectifs des rédactions mais en préservant leur autonomie et leur identité, il s'agit ici de la dissolution de la plupart des rubriques, de l'étrangère si essentielle pour une ville internationale comme Genève, aux sports, si importants pour le maintien de l'âme populaire d’un journal, et du transfert des décisions éditoriales à Lausanne, et de fait à Zurich, puisque tout se décide là-bas.
Pour Genève dans l'immédiat, et pour la Suisse romande à terme, c'est une catastrophe! Que la deuxième ville et la troisième économie du pays, siège des organisations internationales, n'ait plus de grand quotidien indépendant est un phénomène qui ne peut qu'avoir de graves répercussions pour l'avenir de l'ensemble de la région. Un journal, c'est non seulement des journalistes mais c'est aussi l’âme d’une région, la voix d'un terroir, un catalyseur d'énergies et d'idées. Je crois qu'il est important d'en prendre conscience et que c'est rendre service à tous, politiciens, milieux économiques et éditeurs aussi, que de leur faire part de notre refus d'assister à ce qu'il faut bien qualifier de démantèlement progressif de la presse romande. A court terme Lausanne en profite, mais à long terme, c'est l'effacement de la Suisse romande sur la scène nationale qui est en jeu.

Car dès que l'effervescence provoquée par le transfert sera retombée, le groupe pourra tranquillement procéder aux licenciements massifs auxquels il prétend renoncer aujourd'hui. Rappelez-vous le scénario qui a précédé la fermeture de L'Hebdo par le groupe Ringier : on avait alors regroupé les rédactions du Temps et de l’Hebdo à Lausanne avant de procéder à d’importants licenciements. Le même plan est en train de se réaliser sous nos yeux par Tamedia, avec les mêmes propos lénifiants sur l'autonomie des titres et les mêmes trémolos sur « l’amélioration de la qualité ».
Car à quoi bon regrouper les rédactions sous un même toit si c'est pour garder les mêmes effectifs, et donc les mêmes charges? A quoi bon détruire l'identité de ses titres s'il n'y pas de gain à la clé? Dans des groupes gérés par des financiers qui se désintéressent de la production de l’information et considèrent les rédactions comme de simples facteurs de coûts, c'est toujours les journalistes qui paient la facture finale. Rendez-vous dans dix mois.
On en arrive donc à ce paradoxe incroyable : les deux plus grands éditeurs du pays bradent leur métier de base, l’information, et le dernier qui y croit encore est leur ennemi de toujours, Christoph Blocher, qui vient de racheter 25 journaux. Blocher, sauveur de la presse suisse, il fallait le faire !
Il y a donc urgence à rappeler aux deux grands éditeurs de ce pays que leur rôle est de produire et de diffuser de l’information et non de la détruire, et qu’ils ont un vrai combat d’intérêt public à mener : la lutte contre les GAFA, Google, Amazon et autre Facebook, qui pillent sans vergogne le contenu de leurs titres pour nourrir gratuitement leurs canaux tout en siphonnant les recettes publicitaires. Plutôt que de s’acharner contre leurs rédactions et de s’en prendre à la RTS, les éditeurs privés feraient mieux de faire du lobbying à Berne (et auprès de leurs associations à Bruxelles), comme l’industrie pharmaceutique sait si bien le faire pour ses brevets, afin de défendre leurs droits d’auteur et faire rendre gorge aux entreprises qui s’en emparent impunément sans même payer d’impôt sur le territoire de leurs méfaits...
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