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En mauvaise posture au Col de Susanfe

5e étape-Barme-Bonavau-Pas d’Ancel-Cabane de Susanfe-Col de Susanfe-Salanfe-Samedi 27 juillet
Départ à 8h16, une heure plus tôt que d’habitude, pour essayer de prendre de vitesse un nouvel orage annoncé en milieu d’après-midi. L’herbe et les arbres sont bien mouillés, il a plu une bonne partie de la nuit et la végétation a pris des couleurs luxuriantes. Sur le chemin, pas d’animaux mais de nombreuses traces de cerf. Ils aiment bien se cacher dans les vernes pendant la journée. Le sentier grimpe sec pendant 50 minutes en direction du Signal de Bonavau, avant de redescendre sur la buvette éponyme, flambant neuve. 10 minutes de pause Rivella avant d’attaquer le Pas d’Encel. Très vite, le sentier devient vertigineux, surplombant le vide. Il faut se mettre à quatre pattes et s’accrocher à des câbles et à des chaînes pour franchir des barres de rochers à la verticale. C’est éprouvant, et long. Le raidillon pénètre enfin dans la gorge. Sous un rocher, je tombe trois moutons égarés qui doivent être en estivage à l’alpage de Susanfe.
Enfin, le fameux Pas d’Encel est franchi et le chemin redescend vers un petit barrage avant de remonter de plus belle sur l’autre rive de la Sauffla, sous le glacier du Mont Ruan. Après une heure de montée à travers des champs de rochers ravinés par les eaux glaciaires, la cabane de Susanfe est en vue. Les nuages se font plus denses et un banc de brume s’est installé sur les flancs du Ruan.
L’accueil est un peu froid, j’hésite à rester pour la nuit mais décide finalement de tenter ma chance et de passer le col de Susanfe avant la pluie. Le temps d’avaler une tarte à la raisinée, excellente d’ailleurs, et je reprends le chemin tandis que le brouillard monte maintenant du fond du vallon et descend des crêtes. Le long du chemin se succèdent des petits cairns auxquels j’apporte ma petite pierre. Le brouillard va et vient, laissant entrevoir un col encore dégagé. C’est dans un des gouffres du coin qu’on vient de découvrir les ossements d’une cinquantaine d’animaux vieux de plusieurs millénaires, et qui ont fait la joie des paléontologues.
Après une bonne heure de rude montée, j’attaque les dernières centaines de mètres dans la caillasse épaisse qui forme le col. Le ciel se fait menaçant et il n’y a pas une seconde à perdre. Juste après le col, près d’un abri tempête, huit jeunes Belges de retour de la Haute Cime bivouaquent tranquillement, sans se soucier de la météo.

Je bavarde quelques minutes et me lance dans la descente. Après trois virages, la pluie s’abat soudain avec une violence inouïe, mêlée de grêle. Je suis trempé avant même d’avoir pu enfiler ma pèlerine. La visibilité devient très mauvaise.
La descente dans la caillasse est vraiment scabreuse. Le chemin est à peine marqué et on ne voit plus rien à cause des rafales de vent et de pluie. Je le perds à plusieurs reprises, et bute plusieurs fois contre le vide. Il s’engage finalement dans une gorge presque verticale. L’orage aidant, des torrents d’eau brune se mettent à dévaler les rochers.
La situation devient critique et je décide d’attendre que le gros de l’orage passe, vaguement abrité par un rocher en saillie, trempé jusqu’aux os. Après une dizaine de minutes, alors que la pluie redouble et que le tonnerre gronde toujours aussi fort, le groupe de Belges déboule dans la gorge. Ils me proposent de descendre ensemble. A plusieurs, le chemin devient en effet plus facile. On se guide à travers les rochers, on peut se tenir la main dans les passages difficiles et on s’encourage mutuellement. Après une demi-heure de cet enfer, nous voilà tirés d’affaires. La pluie continue, moins violente, et surtout le chemin redevient plus amical et praticable. Il suit le flanc de la montagne en surplombant une vaste plaine d’alluvions en contrebas. Il reste glissant, dangereux et encombré de grosses pierres coupantes, comme un des jeunes Belges en fera l’expérience, avec une cheville tordue.
L’auberge, qu’on aperçoit à travers le rideau de pluie, est encore loin. Après 8 heures de marche presque ininterrompue depuis le matin, j’y arrive enfin, transi.
Surprise, sur la terrasse, je tombe sur mon neveu, paraplégique, dans sa chaise roulante. C’est le jour de la réunion du conseil mixte qui gère l’alpage. Comme délégué de la bourgeoisie d’Evionnaz, il est monté en jeep avec les autres membres du conseil. Mon cousin David, qui alpe une centaine de têtes de bétail à Salanfe, est aussi du nombre. Les derniers participants, attroupés au bar, discutent vaches, loups et moutons avec force tournées de goutte. Par bonheur, la Vierge de la chapelle du lieu, dûment fêtée à la fête de l’Assomption le 15 août, veille sur les bergers...
Après avoir éclusé quelques verres, pris une bonne douche, mis le linge à sécher et bourré les chaussures de papier, le moral a retrouvé son niveau habituel. Pendant le repas du soir, collectif comme dans toutes les auberges de montagne, je fais la connaissance de deux randonneurs genevois manifestement habitués des lieux et bons connaisseurs des cabanes et des massifs du coin. Avec leur allure de routards à longue barbe et leur look cool, ils tranchent avec bonheur sur les ultratrailers suréquipés. On discute balades, végétarisme - ils ont cueilli des épinards sauvages pour agrémenter la soupe - et construction des barrages et de conduites forcées.

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