Halte chez les bons chanoines du Simplon
Réveillé à 5h45 par les premières lueurs du jour, un torticolis carabiné et un froid tenace, pas question de faire la grasse matinée dans cette yourte glaciale. Le petit déjeuner au lit attendra des jours meilleurs.
Une demi-heure de yoga pour se réchauffer et se dégourdir les muscles, quelques ablutions au lac, un petit encas avec du pain sec et un reste de fromage, le temps de plier et de rassembler mes affaires et de remplir les gourdes au ruisseau et me voilà prêt au départ à 7h déjà.
Le ciel est couvert. De l’autre côté du vallon, vers le Simplon, des trainées de brumes descendent du col que je suis censé franchir en début d’après-midi. Plutôt que de descendre tout au fond de la vallée pour remonter de l’autre côté, les connaisseurs conseillent de remonter le vallon jusqu’au fond, sur cinq ou six kilomètres et de revenir de l’autre côté, ce qui est beaucoup plus agréable pour l’œil et l’esprit. On suit le bisse qui approvisionne l’alpage en eau à partir du torrent qui descend du glacier du Fletschhorn. Il fait frais, le chemin est agréable et facile, et je marche donc d’un bon pas. C’est le paradis des marmottes. Elles croisent mon chemin, dévalent la pente jusqu’à leur terrier, sifflent pour avertir leurs congénères et parfois se figent dans une pose comique en me surveillant d’un coin de l’œil.
Après deux heures de marche, j’atteins le fond de la vallée et les petits lacs de Fulmoos, à 2500 mètres d’altitude. Un couple de jeunes Brigands vient d’y passer une nuit sous la tente. Un rayon de soleil perce les nuages et je décide de faire une pause et de procéder à des ablutions plus complètes près d’une petite lagune proche de petits névés. Un coin sauvage, coupé du monde, qui n’offre que des rochers et des nuages pour seuls compagnons.
Le chemin revient amorce une boucle et revient sur l’autre versant du vallon en montant doucement vers le col de Bistine, noyé dans les nuages. Les abords du chemin sont couverts de myriades de fleurs de toutes les couleurs. J’atteins le col vers 13 heures. Un grand cairn érigé en 1940 par les soldats de la troisième compagnie du 17e régiment marque l’entrée dans la vallée du Simplon. Commence la descente sur le Simplon, plongé dans la brume. En avance sur l’horaire, je prends mon temps car le chemin est glissant et caillouteux. Un peu plus tard, la brume se lève et laisse entrevoir la vallée du Simplon se découvre. On peut distinguer l’ancien hospice et des portions de la vieille route Napoléon, qui serpente dans le vallon alors que la voie moderne, taillée pour le trafic poids lourd, ne s’encombre pas de méandres.
La route du Simplon, ouverte en même temps que le Gothard au XIIIe siècle, a joué un rôle important grâce au XVIIe siècle, aux temps de l’entreprenant Kaspar-Jodoc Stockalper, loueur de mercenaires, détenteur du monopole du sel, creuseur de canal et affréteur de barques de transport sur le Léman, une sorte de serial entrepreneur avant la lettre devenu l’homme le plus riche de son temps avant d’être condamné à la faillite. Mais la route moderne est surtout un héritage de Napoléon. C’est lui qui, après avoir franchi le Grand-Saint-Bernard avec son armée en mai 1800, y a investi des millions pour assurer une voie rapide et performante entre la France et le nord de l’Italie. C’est grâce à lui que le Simplon s’est imposé comme voie de communication entre Londres, Paris, Venise et Istamboul, Bâle et Milan. Le tunnel ferroviaire et la route de surface lui doivent tout.
A 14h30, le bon père Lamon, de Lens, me remet les clés de ma chambre-dortoir. J’ai tout le temps de préparer ma vidéoconférence et de tester le wifi des trois derniers chanoines qui animent l’hospice. Vu de l’extérieur, l’hospice du Simplon, gigantesque bâtisse de couleur rose bonbon, est dépourvu de charme. Mais l’intérieur est très plaisant avec ses hauts plafonds, ses grands couloirs aux dalles d’ardoise massives et ses escaliers de pierre usés par des générations de pèlerins. A cette période, il est rempli par des familles en excursion et une cinquantaine de paroissiens de Brigue, invités à faire retraite par leur curé. Au dîner, conversation sympathique avec trois jeunes Genevois amateurs de trails et de jass. Ils parcourent en une heure ce qui m’en prend trois. Mais il est vrai qu’ils ont le tiers de mon âge et n’ont pas dix kilos à porter sur leur dos...