Diplomatie scientifique ou usine à gaz ?
Après deux ans et demi d’une gestation qui aura englouti deux millions de francs, le Geneva Science and Diplomacy Anticipator (Gesda), comme il s’appelle pompeusement en anglais, tiendra son premier « sommet » à Genève début octobre, avec une centaine d’intervenants provenant presque exclusivement des pays occidentaux et de la sphère d’influence anglo-saxonne.
Normal, dira-t-on, puisque les pays occidentaux viennent en tête de l’excellence scientifique et que leurs universités se classent aux premiers rangs des classements internationaux. La composition des 67 membres du Forum académique reflète bien cette prédominance, qui ne compte pas un seul représentant russe ni arabe tandis que l’Amérique latine ne semble avoir qu’une seule scientifique valable (d’origine espagnole), que l’Afrique est représentée par deux Sud-Africains et l’Asie tout entière, Chine et Japon inclus, par cinq représentants seulement. Même si le mérite se doit d’ignorer la géographie et la démographie, on peut quand même s’étonner de cette curieuse disparité.
Surtout si l’on tient compte du but affiché du Gesda. Lequel, comme son nom l’indique, veut mettre l’accent sur la diplomatie et « créer un instrument d’anticipation scientifique au service du multilatéralisme » et « attirer de nouveau acteurs au sein de l’écosystème genevois ». Comment réaliser ce but en étant si peu diversifié et avec un seul Chinois et un seul Japonais alors que ces deux pays figurent dans le trio de tête des dépositaires mondiaux de brevets ? Et comment revivifier la diplomatie multilatérale si elle se limite à quinze pays riches en ignorant les 178 autres membres des Nations Unies ? Voilà un défi qui devra bien être relevé un jour si le Gesda veut tenir ses promesses.
Autre remarque. Selon le rapport annuel 2019-2020, édité séparément en quatre langues sur papier glacé, les dépenses ont atteint deux millions de francs sur 18 mois, essentiellement des salaires, pour une équipe de huit directeurs/trices exécutifs. A ce rythme-là, on comprend que des rumeurs de besoin d’argent (sur les 5,2 millions récoltés en début de période) aient circulé avant d’être démenties.
Berne a décidé de mettre le paquet sur la diplomatie scientifique puisqu’à ces dépenses vient s’ajouter le poste de représentant spécial de la Confédération pour la diplomatie scientifique qui a été confié à l’ambassadeur Alexandre Fasel. Diplomate expérimenté qui connait bien le terreau genevois pour y avoir occupé le poste de chef de la Mission suisse pendant quatre ans, sa nomination est plutôt une bonne nouvelle. Mais suffira-t-elle à donner l’impulsion et surtout de la substance au Gesda, c’est toute la question.
Car le mariage de la science et de la diplomatie est un peu celui de la carpe et du lapin. La diplomatie n’est pas une science, c’est un art. Elle ne requiert pas les mêmes talents ni la même approche que la science. Les consulats scientifiques mis en place par la Suisse il y a une vingtaine d’années ont montré l’ampleur des difficultés, malgré un dynamisme certain. Mais leur but était au moins clair puisqu’il s’agissait d’identifier les grandes tendances et de favoriser l’essor de la place scientifique suisse. Mais aujourd’hui, les ambitions sont beaucoup plus grandes et probablement trop vastes.
Etant donné la qualité des intervenants, la quinzaine de panels prévus lors du sommet d’octobre apportera sans doute des éléments intéressants mais il y a peu de chances pour qu’ils débouchent sur des résultats probants comme « outil de soft power pour améliorer les relations internationales », dans « l’utilisation de preuves scientifiques pour guider la politique étrangère » et « l’utilisation de l’appareil diplomatique pour promouvoir la coopération scientifique internationale ». Surtout les trois-quarts de l’humanité en sont exclus.