Voyage sur le front de la Mer Noire
Si l’on entend beaucoup les pays Baltes et la Pologne dans le conflit en Ukraine, les pays du front sud sont en revanche très discrets. Un forum sur la paix et la neutralité à Chisinau et diverses rencontres organisées à l’occasion des élections bulgares du 2 octobre m’ont permis de visiter la Moldavie, la Roumanie et la Bulgarie au début du mois. Le moins qu’on puisse dire est que j’en suis revenu avec des sentiments mitigés, et même assez accablé par le climat de déréliction dans lequel semblent baigner les peuples de ces pays.
Exiguë, enclavée, sans ressources naturelles, vivant essentiellement de sa production agricole et viticole, coincée entre les grands voisins roumain et ukrainien d’une part et tiraillée entre ces géants que sont l’Union européenne et la Russie d’autre part, la Moldavie, avec ses trois petits millions d’habitants, est sans nul doute le plus mal loti des trois. Mais elle y est habituée et ne s’en formalise pas trop. Les Moldaves savent que l’histoire et la géographie les ont placés au mauvais endroit. Comme le fait remarquer ce conseiller de la présidente pro-européenne Maya Sandu, « c’est seulement la deuxième fois en mille ans que nous vivons trois décades consécutives d’indépendance et de paix. » Entre les Mongols, les Turcs, les Polonais, les Cosaques, les Russes, les Roumains ou les Allemands, la Moldavie a enchainé les invasions, répressions, déportations et guerres entre voisins.
Le pays est profondément divisé, politiquement et géopolitiquement, constate-t-il. Trois camps s’affrontent, les atlantistes pro-européens de Maya Sandu, actuellement au pouvoir, les socialistes jugés pro-russes de l’ancien président Igor Dodon, et le parti Egalité, de tendance conservatrice mais pro-russe lui aussi, fondé par l’oligarque Ihor Shor actuellement réfugié en Israël et qui organise depuis plusieurs mois des manifestations anti-gouvernementales devant le parlement. Un sondage récent a montré que 43% de la population s’exprime exclusivement en russe sur son portable. « Comment trouver une majorité pour voter pro-Moldave ? », se demande-t-il avec ironie.
Il a parfaitement conscience de vivre dans un pays attachant mais impossible. Il me cite en exemple la fameuse Transnistrie, russophile à 200% et censée être l’ennemie du pouvoir, mais sans laquelle ce même pouvoir ne pourrait vivre puisque la province rebelle fournit l’essentiel de son gaz et de son électricité. Approvisionnée en gaz russe à travers l’Ukraine (malgré la guerre), Tiraspol le revend en effet à Chisinau tout en le brûlant pour faire tourner une aciérie dont la production est achetée par l’Union européenne ! Sauf que ce gaz n’a jamais été payé depuis trente ans, ni par les uns ni par les autres, si bien que le montant cumulé de la dette envers Gazprom atteint 7 milliards de dollars (60% du PNB moldave), dette qui deviendrait immédiatement exigible en cas d’adhésion du pays à l’UE.