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La crise fait bouger les fronts!

La crise est évidemment dramatique pour tous ceux qui en sont les victimes, et il serait fort malvenu de s’en réjouir même si certaines d’entre elles sont les mêmes qui ont exagérément profité des années de prospérité. Mais, comme disent les Chinois, la crise est aussi une chance, une opportunité dont on commence à entrevoir les perspectives.

Et la perspective la plus réjouissante, c’est que tous les fronts, jadis figés par la recherche du gain maximum et les tabous idéologiques, se sont remis à bouger. Voyez le secret bancaire. Il y a six mois, l’inconscient qui aurait remis en cause le principe du secret pour l’évasion fiscale se serait simplement fait embrocher vif, comme l’a d’ailleurs rappelé le président de la Confédération Han-Rudolf Merz. Or aujourd’hui, ce sont les banquiers et les libéraux eux-mêmes qui acceptent d’abandonner la distinction entre évasion et fraude fiscale. Un saut qualitatif important sur le plan moral, qui déstabilisera temporairement la place financière mais qui ne l’ébranlera pas tant qu’on pourra éviter l’échange d’information automatique.

Voyez l’Europe. Une petite phrase de Couchepin en Autriche et le débat sur l’adhésion est relancé, alors que le Conseil fédéral avait enterré et congelé le projet depuis les années 2000 et que les bilatérales étaient devenues l’horizon indépassable de notre politique européenne. Voyez l’environnement. Les Etats-Unis et certains milieux de droite s’obstinaient depuis la Conférence de Rio en 1992 à nier le réchauffement climatique et la nécessité de réduire les émissions de C02. Et il a suffi de quelques mois pour que l’élection de Barack Obama change la donne et que le développement des énergies renouvelables et les économies d’énergie deviennent des buts officiels du programme du gouvernement américain. A quand la révolution copernicienne qui consisterait à inclure dans le calcul des coûts d’un produit et d’un service ce que les économistes appellent des externalités (coûts environnementaux) ?

Voyez enfin, question beaucoup plus sensible, le problème de la justice. Depuis dix ans, les grands patrons et leurs supplétifs dans les parlements expliquaient que les parachutes dorés, les bonus et les salaires astronomiques des managers et des administrateurs n’étaient que la récompense légitime de leurs responsabilités et de leur abnégation sans pareille au travail. Mais comment justifier qu’un grand patron gagne 500 à 700 fois le salaire de son employé le moins payé, comme c’est devenu la règle aujourd’hui? Les journées n’ayant que 24 heures, peut-il travailler 4000 heures par jour et, à responsabilités égales, gagner cent fois plus que le patron d’une PME ? La remise en cause des bonus par Barack Obama, Nicolas Sarkozy et une opinion publique lassée de ces excès est en soi une bonne nouvelle car elle vient réinjecter de la concurrence dans un cartel très fermé et qui, de plus, a largement failli à ses devoirs. Davantage de justice évitera une explosion sociale lorsque les tensions engendrées par la montée du chômage deviendront palpables. De cela, on peut se réjouir.

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