L'homme, l'animal et la bête qui sommeille en nous…
Le 5e festival francophone de philosophie a eu lieu ce week-end à Saint-Maurice sur le thème de l’Homme et l’Animal. Près de 3000 personnes dont 1200 élèves des collèges valaisans et vaudois y ont assisté. Une trentaine de philosophes, scientifiques, éthologues, praticiens, paléontologues se sont confrontés. Très rapidement deux thèses ont émergé, le point de vue que l’on pourrait qualifier d’humaniste – qui établit une hiérarchie entre l’homme et le reste du monde, l’homme étant au sommet – s’opposant à une vision animaliste, selon laquelle l’homme est un animal comme les autres et n’a pas à imposer sa suprématie sur les autres êtres vivants.
Entre les deux extrêmes, toutes les nuances sont permises et un dialogue est possible. Entre un Dominique Lestel, qui propose de jeter l’humanisme par-dessus bord à cause des crimes commis en son nom (colonialisme, extinction des espèces animales, etc.) et le théologien Pascal Ide, qui établit que la Bible, quand on la lit bien, rappelle que l’homme et les animaux sont nés le même jour et ont été créés pour vivre ensemble, les ponts ne sont pas forcément coupés.
Car la relation entre l'homme et l'animal est biaisée depuis que l'homme a cru pouvoir s'émanciper de ses origines animales et a commencé à opposer nature (les bêtes) et culture (l'Homme avec un grand H). Depuis deux ou trois mille ans, le malaise n'a fait que s'amplifier. Et il n'est pas prêt de se résorber. A écouter les interventions, j’ai même eu l’impression que la société contemporaine, plus qu’un malaise, éprouvait une culpabilité croissante à l’égard des animaux et des maltraitances qu’elle leur impose : abattage de masse, consommation exagérée de viande, conditions de transport infâme, surpêche de baleines, massacres de bébés phoques, élevage d’animaux domestiques pour le seul plaisir du maître, contrebande, tout cela n’est pas très reluisant et commence à peser sur la conscience humaine à un moment où l’on prend conscience qu’ont vit tous sur le même bateau et qu’il n’y en a pas d’autre…
Les philosophes ont accompagné ce lent divorce, en le justifiant souvent, en le tempérant parfois. D'un côté, les partisans d'un humanisme pur et dur n'ont cessé de marteler les différences entre l'homme et l'animal et d'insister sur la supériorité de l'homme, autorisé de ce fait à mettre la nature et les animaux sous sa domination absolue. Les philosophies utilitaristes ont ensuite théorisé cette sujétion et cette exploitation.
Mais de tout temps, il s'est aussi trouvé des défenseurs ardents des animaux, dans tous les milieux. Pour eux, un être vivant est un être vivant, quelle que soit la quantité de poils de son visage. D'Epictète à Saint François d'Assise en passant par Léonard de Vinci ("Le jour viendra où l'on considérera le meurtre d'un animal comme un crime"), les avocats de la cause animale savent être persuasifs. Comme le constate Robert Maggiori, « le rapport à l’animal est un fil rouge dans l’histoire de la pensée. On s’est d’abord demandé s’il avait une âme puis avec Descartes s’il était un pur mécanisme, puis s’il souffrait, s’il avait une sensibilité, si on pouvait l’enfermer et récemment s’il avait des droits ».
Cette évolution ne va pas sans heurter les esprits, à tel point que le débat s'envenime, comme on a pu le voir cet été avec les militants du mouvement anglais SHAC qui sont suspectés d'avoir incendié le chalet de Daniel Vasella, le patron de Novartis. Le débat se focalise aujourd'hui sur les conditions d'élevage et l'abattage en masse des animaux de boucherie, les expérimentations animales dans les laboratoires et le massacre des espèces animales sauvages suite à la dégradation de leurs milieux de vie par l'homme.
Au moment où l’homme s’interroge sur ce qui fait son humanité et sur son rapport ambivalent et souvent destructeur à la nature et aux animaux, à l’occasion de l’ «Année Darwin » qui célèbre le bicentenaire de la naissance du grand naturaliste anglais et alors que certains extrémistes de la cause animale s'en prennent aux hommes, le pari de consacrer la cinquième édition du Festival de philosophie à l’Homme et à l’Animal, ces jumeaux si différents en apparence mais si proches en vérité, a été dûment relevé.
5e Festival de philosophie, "L'Homme et l'Animal"; Saint-Maurice (VS), 24-27 septembre 2009, www.festivalphilosophie.info.