Les Russes veulent juste gagner les élections !
Paradoxe : les prochaines élections présidentielles pourraient être les premières gagnées par les Russes eux-mêmes ! Jusqu’ici en effet, les élections n’ont pratiquement jamais amélioré le sort des Russes. Sous le régime tsariste, elles n’existaient pas. Durant l’ère soviétique, elles furent confisquées par les communistes et la nomenklatura. A l’époque Yeltsine, elles ont servi de paravent à une oligarchie qui a pillé le pays. Sous Poutine I et II et sous Medvedev, elles ont permis à la Russie de rétablir l’ordre et la stabilité mais sans réellement profiter aux citoyens en tant que tels.
Or, pour la première fois de leur histoire, les Russes pourraient être les premiers gagnants, les principaux bénéficiaires des élections. Les événements de ces derniers mois sont en effet extraordinaires à plus d’un titre.
Les dernières élections législatives et leur issue trop prévisible ont tout d’abord provoqué une mobilisation sans précédent de la société civile, qui a montré que, sous le couvert d’une apathie apparente, la société russe bougeait. Depuis les années 2000, cette société s’est en effet transformée, dans les villes notamment. Les gens sont plus riches, mieux éduqués et plus exigeants. A côté des oligarques et de la classe dirigeante, une classe moyenne est apparue, formée d’entrepreneurs, de professions libérales, de cadres et d’indépendants qui veulent participer à la vie politique et aux affaires de l’Etat. Les différents courants qui travaillent la société russe exigent une ouverture du jeu démocratique.
Et force est de constater que dans le camp du gouvernement et du parti Russie unie, on a habilement réagi jusqu’ici, sans violences policières, en autorisant les manifestations d’opposition, en laissant les médias couvrir les événements et en organisant des contre-manifestations massives, ce qui est de bonne guerre. Nul doute qu’au Kremlin et dans l’état-major des partis gouvernementaux, on a dû être déstabilisé et très agacé par cette mobilisation inattendue de la société civile. Mais on a évité l’erreur de la brutalité et de la censure. Ce qui est sans doute insuffisant pour les standards de la démocratie libérale à l’occidentale, mais constitue un signe très encourageant pour le citoyen russe.
Ce qui se joue aux élections du 4 mars est donc très important, sachant que d’un côté rien ne va changer et que de l’autre, tout va changer.
Rien ne va changer parce que Vladimir Poutine sera réélu président. Tout simplement parce qu’il reste le candidat le plus populaire dans les provinces et les campagnes (37-38% des voix selon les sondages) et qu’il n’y a pas de challenger crédible, ni dans l’opposition, ni dans le parti au pouvoir. Et cette conviction est partagée par la grande majorité des Russes, toutes tendances confondues.
Et tout va changer, parce que M. Poutine sera très probablement réélu au deuxième tour et non au premier comme d’habitude, au terme d’un scrutin très surveillé, et que l’Administration Poutine III devra forcément tenir compte des aspirations populaires. Les autorités ont d’ores et déjà admis qu’elles devaient mieux répondre aux demandes émanant de la société, tant dans le domaine social et de la santé que de l’économie et de l’éducation. Sur le plan politique, des nouvelles propositions sont apparues, concernant le mode d’élection des gouverneurs et les mécanismes de contrôle de l’Etat, des services publics et des compagnies d’Etat. Un système de consultation des milieux économiques a été mis en place pour l’élaboration des lois, qui n’est pas sans rappeler ce que nous connaissons en Suisse. Cette procédure de consultation pourrait être élargie aux citoyens par le biais de forum sur internet et le développement du e-gouvernement destiné à faciliter l’accès des citoyens à la vie publique et à l’administration. Et enfin, la lutte contre la corruption devra dépasser le simple stade des discours.
Sans illusions, les Russes ne croient plus aux miracles politiques et préfèrent les changements réels, même modestes, aux grandes promesses. C’est grâce à cela qu’ils retrouveront confiance dans une démocratie qui avait perdu toute crédibilité durant les chaotiques années 1990.