Contre le fétichisme des diplômes
La Suisse n’a pas de pétrole ni de matières premières et ne peut compter que sur ses cerveaux pour assurer sa prospérité, on ne saurait trop le répéter. Tous les efforts pour développer la formation, la recherche, l’innovation, doivent donc être encouragés. La mise en place des hautes écoles spécialisées, la convergence avec les universités et l’établissement de passerelles entre l’apprentissage et la possibilité d’une formation académique sont à saluer. Le système d’éducation suisse, qui accorde une large part à l’apprentissage en entreprise aux côtés du cursus plus abstrait de la formation universitaire, est d’ailleurs l’une des grandes forces de notre pays.
Ceci étant établi, la construction de ce bel édifice entraîne des dégâts collatéraux qui pourraient s’avérer fort dommageables si rien n’est entrepris pour les corriger. Ce dommage, c’est la fétichisation des diplômes, la sacralisation du parcours académique par rapport à la filière professionnelle, la croyance que la formation théorique l’emporte sur la pratique du métier. Or aucun diplôme, aussi prestigieux soit-il, n’a rendu quelqu’un meilleur ou plus intelligent. Les imbéciles diplômés sont statistiquement aussi nombreux dans leur catégorie que les imbéciles non-diplômés dans la leur.
C’est ainsi qu’on évince des milliers de jeunes en difficulté scolaire du marché de l’emploi et qu’on empêche d’accéder à un emploi les chômeurs qui ne maitrisent pas le langage des docteurs en management. Les effectifs des élèves en difficulté explosent et on dépense des fortunes pour compléter la formation des jeunes après l’école obligatoire et réinsérer des chômeurs adultes. Peu à peu, à force dévaloriser le travail « manuel » et les emplois moins qualifiés, le système se transforme en machine à fabriquer des chômeurs de longue durée. Il est inadmissible d’exiger des diplômes invraisemblables pour être engagé à la voirie ou dans une crèche, et des notes impeccables en maths pour servir dans un restaurant ou décrocher le CFC de « logisticien » (magasinier) dans une grande surface. Impossible de devenir palefrenier dans une écurie sans être expert en biologie, en anatomie et en éthologie ou en calcul différentiel. Alors qu’on a le sentiment qu’on peut parfaitement décrocher un diplôme de vétérinaire en ayant juste croisé une fois une vache ou un cheval.
Cette fétichisation à outrance du diplôme est particulièrement choquante dans les professions de la santé et des soins aux personnes, crèches, EMS, hôpitaux. On a créé la formation d’aide-soignant pour suppléer au manque chronique d’infirmières, mais les générations d’assistants de santé qui arrivent sur le marché restent au chômage parce que le corporatisme des gens en place, la peur de la concurrence, la crainte irraisonnée d’une baisse de salaire font barrage, et cela alors même que la demande explose. Le système est parfois devenu si pervers qu’on préfère parfois engager un étranger sans diplôme qu’un jeune avec un CFC, avec toutes les tensions sociales et politiques que cela peut engendrer.
En conclusion, il faut empêcher que – sous le prétexte de préserver et de hausser la qualité – la formation devienne un obstacle à l’emploi et continuer à former des gens selon leurs capacités et selon les besoins réels de l’économie, et non selon les objectifs abstraits que le système et ses serviteurs se donnent à eux-mêmes.
Pour éviter cette dérive, et pour que chacun puisse bénéficier d’une formation et d’un emploi adaptés à ses talents, le rôle des employeurs est essentiel. Les patrons de PME, les directrices de crèches et d’EMS, les entrepreneurs du bâtiment, tous ceux qui ont besoin de collaborateurs qualifiés, mais pas forcément de pointe, doivent se souvenir que les diplômes, pour être importants, ne remplacent ni la compétence réelle ni la motivation.