La revanche de l’Afrique noire
On se souvient de L’Afrique noire est mal partie, le fameux livre de René Dumont qui avait défrayé la chronique en 1962. Le pionnier de l’agronomie et de l’écologie françaises mettait en avant les erreurs de développement des jeunes nations africaines tout juste décolonisées. Il constatait que l’Afrique intertropicale piétinait mais qu’elle pourrait se développer rapidement si elle repensait son école, son encadrement, ses infrastructures, sa gouvernance.
Il aura donc fallu attendre près de cinquante ans pour que l’Afrique sub-saharienne montre les premiers signes de décollage. Bien sûr, le bilan est très contrasté suivant les pays. Les zones critiques (les deux Soudans), les nations en implosion (Mali, Centrafrique, République du Congo) ou en régression (Côte d’Ivoire, Madagascar), les régions en rémission lente (Guinée, Liberia, Sierra Leone, Burundi ou Rwanda) ou guerre civile larvée (Nigeria, Mauritanie) occupent le devant de la scène. Mais l’arbre à palabre médiatique ne doit pas cacher la forêt silencieuse des pays qui découvrent ou redécouvrent la croissance après des décennies de déliquescence économique.
La Chine ne s’y est pas trompée, qui investit massivement dans tout le continent et organise régulièrement un sommet des chefs d’Etat africains à Beijing, alors que l’Europe a quasiment déserté la région et que la France se contente de préserver son glacis. Les experts de la banque mondiale, naguère très sévères avec ce continent, ont désormais basculé dans le camp des optimistes. Reste maintenant à convaincre les opinions publiques et les gouvernements occidentaux.
Bien sûr, tout n’est pas rose. Des risques majeurs subsistent : conflits, inégalités des revenus, exclusion sociale, infrastructures insuffisantes et surtout transparence fiscale des entreprises minières quasi inexistante. Mais les perspectives de l’améliorer, et donc les chances pour les Etats d’augmenter notablement leurs ressources, sont bonnes : les pressions dans ce sens se font plus fortes.
Parmi les pays qui avancent sans bruit, on peut citer le Cameroun et le Gabon. Le président camerounais Paul Biya parait certes indéboulonnable mais les progrès sont là : une économie diversifiée dont l’agriculture (17%) fait mieux que le pétrole 9% du PIB), des privatisations plutôt réussies depuis deux décennies, une dette publique en forte diminution, des investissements réguliers dans les infrastructures (ports, routes, chemins de fer, barrages) ont conduit à une croissance régulière de 3% en moyenne durant la dernière décennie malgré la crise.
Le Gabon, pays minuscule par sa population (1,5 million d’habitants pour une superficie égalant la moitié de la France), relève lui aussi la tête depuis l’élection d’Ali Bongo Odimba à la présidence. Déjouant les pronostics, le fils Bongo s'avère un chef d'Etat plutôt avisé et modernisateur. Un plan de diversification de l'économie et de construction d'infrastructures, avec la création d'une Agence nationale des grands travaux, et la création de zones économique spéciales à Libreville et Port-Gentil, sont en cours et commencent à porter leurs fruits…
Deux exemples auxquels il faut ajouter le Ghana, le Kenya, l'Angola, le Mozambique, l'Ethiopie et beaucoup d'autres pays plus modestes. Le XXIe siècle, aussi surprenant que cela puisse paraitre, pourrait bien être celui de la revanche de l'Afrique.