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L’axe USA-UE met la Suisse au défi

Contrairement aux apparences, l’année 2013 aura été un excellent cru pour la diplomatie économique suisse. Après des années de régression puis de stagnation, plusieurs succès ont été engrangés. L’accord de libre-échange avec la Chine est la première chose qui vient à l’esprit, avec la participation réussie aux préparatifs du G20 de Saint-Pétersbourg grâce à l’appui des Russes. Pour la première fois depuis longtemps, la Suisse, confinée aux enceintes techniques de l’OCDE ou du Stability Board, a pu faire remonter ses vues en matière de fiscalité, d’échanges d’information et de régulation bancaire au niveau politique, au niveau des puissances qui comptent.
Et même l’accord sur les successions avec la France a permis de débloquer les négociations avec l’encombrant voisin français, malgré le chahut organisé par des politiciens sans visions et quelques avocats en mal de marketing auprès de leurs clients fortunés.
Le refus de la "Lex USA" par le parlement fédéral en juin dernier a constitué un signe inquiétant, heureusement vite oublié grâce à la signature d'un nouvel accord fiscal qui fait payer les banques. Mais si la coalition des oppositions réussit à faire échouer la ratification de l’accord sur les successions avec la France, il faudra s'inquiéter vraiment. Car si le Conseil fédéral et les diplomates, qui doivent négocier dans un environnement international d’une complexité désormais inouïe, se retrouvent sabordés sur le plan intérieur, bonjour les dégâts ! Un regard froid montre qu’à part la Russie et la Chine, nous n’avons pratiquement plus d’alliés sur la scène économique mondiale et que, sur le front domestique, une ligue hétéroclite d’opposants est prête à lever la hallebarde dès qu’il s’agit de faire la moindre concession à un partenaire.

Jusqu’ici, face aux grandes puissances économiques mondiales, la Suisse a toujours su appliquer avec succès la tactique de la souris, grignotant inlassablement les avantages et privilèges que les grands avaient négociés entre eux et pour eux, arrachant des accords bilatéraux par-ci, une convention de double-imposition par-là, négociant un arrangement multilatéral à l’OMC ou décrochant un siège au conseil des gouverneurs de la Banque mondiale grâce à une alliance improbable d’Etats d’Asie centrale. Nous excellons à ce jeu-là. Mais le problème est que les règles du Monopoly mondial pourraient bientôt changer de fond en comble, si l’Union européenne et les Etats-Unis parvenaient à conclure entre eux le Partenariat commercial et d’investissement transatlantique (TTIP). Bien sûr, les négociations ouvertes en juillet dernier entre les deux grandes puissances économiques mondiales - qui assurent 68% des échanges commerciaux suisses - vont durer des années. Mais si elles aboutissent, et les deux partenaires ont intérêt à ce qu’elles aboutissent ne serait-ce que pour annihiler les concessions consenties à l’OMC - alors la Suisse a du souci à se faire.

Les Etats-Unis sont également en train de négocier un accord du même type avec 13 pays de la zone Pacifique (TPP). S'ils devaient réussir, il s'ensuivrait un sérieux risque de déstabilisation du commerce international et des échanges commerciaux tels qu'ils existent aujourd'hui. La formation de deux blocs de joueurs capables d'imposer leurs règles aux autres serait à même de paralyser le système de négociations bilatérales et de rendre obsolète le dispositif de l'OMC. Pour la Suisse, qui se retrouverait complètement marginalisée, et pour la Genève internationale, ce serait une catastrophe.

La menace sur les intérêts de la Suisse est donc sérieuse. Même si notre pays faisait un effort pour adapter ses règles et ses normes sur ses deux grands partenaires européen et américain, comme nous le faisons actuellement avec l'Union européenne, il s'ensuivrait malgré tout une perte de compétitivité de nos entreprises et de coûteux efforts politiques et économiques pour tenter de rester à flot. Ces accords TTIP et TPP deviendraient la norme pour tous les accords commerciaux dans le monde, y compris avec les pays émergents et avec les BRICS. Et cela dans un contexte où les Etats-Unis et l'Europe continueraient à faire pression sur le système fiscal et financier suisse.

On le voit, le monde post-globalisation est en train de se lancer dans une gigantesque guerre de mouvement qui consiste à contourner l'OMC et à préserver la domination des superpuissances commerciales existantes autour d'un axe Etats-Unis, Europe et Japon, afin de contenir la montée en puissance de la Chine, des BRICS et des autres pays émergents d'Amérique latine et d'Afrique. Dans un tel rapport de forces, la Suisse n'aurait plus d'autre alternative que de s'isoler au risque d'un déclin économique certain, ou de capituler sans condition face à l'Union européenne.

On n'en est pas encore là, heureusement. Pour le moment, la tactique de la souris opère encore. Le marché global reste assez fluide et les occasions de happer les miettes dans l'assiette des grands sont encore nombreuses. Mais si la porte se ferme, nous n'aurons plus le choix.

Plus que jamais, la Suisse doit donc se battre pour préserver un espace de négociations multilatéral. Chacun sent que l'OMC aurait de la peine à se remettre d'un nouvel échec du Doha Round. Et elle doit en même temps mettre les bouchées doubles pour appliquer le plan B tant que c'est encore possible, c'est-à-dire multiplier des accords bilatéraux tous azimuts avec les partenaires qui nous sont le moins hostiles: Brésil, Russie, Afrique du Sud, moyennes puissances d'Asie, Amérique latine et d'Afrique. Ce sera tout ça de gagné si la constitution des blocs devait advenir. Cela demande de l'énergie, de la souplesse, de l'ouverture d'esprit et une grande force intérieure pour éviter les divisions internes. Courage!

Guy Mettan, président de la Chambre de commerce Suisse-Russie & CEI

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