Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Genève 2 peut réussir. A condition d'abandonner ses oeillères

Or donc la conférence Genève 2 sur la Syrie s'ouvrira mercredi à Montreux. Pour la Genève internationale et pour la Suisse, c'est évidemment un événement prestigieux, qui vient souligner fort à propos la vocation de notre pays à accueillir les négociations internationales les plus complexes et à être l'ambassadeur de la paix à travers le monde.
Mais soyons franc: il ne se passera strictement rien à Montreux, hormis de grandes et pompeuses déclarations d'intention de la part des excellences qui auront fait le déplacement avant de repartir à Davos. S'il y a une chance pour qu'un progrès survienne, ce sera plus tard, dans les jours, les semaines ou les mois qui vont suivre, quand les différents représentants syriens se réuniront à huis clos, entre les murs épais du Palais des Nations, pour discuter sérieusement, loin des caméras et des micros.
Et pour que ce petit miracle arrive, il y a quelques exigences à remplir, dont la première est que les Occidentaux, Français et Américains en tête, laissent tomber leurs œillères et cessent de poser des conditions irréalistes et inacceptables comme préalables à tout dialogue, telles que la capitulation sans condition de Bachar el-Assad. Les Occidentaux, qui n'ont que les mots droits de l'homme à la bouche quand il s'agit de discréditer leurs adversaires, devraient ainsi se souvenir que le but final de cette conférence n'est pas le départ du dictateur syrien mais bien la fin des hostilités, un cessez-le-feu, même partiel, entre les belligérants. Quand la maison brûle, on éteint l'incendie pour sauver le plus de victimes possible, on ne fait pas un procès au propriétaire.

Pour atteindre ce but, il faut aussi accepter l'idée qu'un compromis équitable entre les parties sera le prix à payer. C'est difficile de l'admettre quand on passé son temps à critiquer la partie adverse. Et ça l'est encore plus quand celle-ci, à savoir le régime de Damas, est plutôt en train de marquer des points sur le terrain. Il faudra pourtant se résoudre à avaler cette énorme couleuvre: la fin de la guerre civile n'est pas atteignable sans le maintien d'Assad à son poste et comme maitre des territoires qu'il contrôle encore, au moins temporairement, par exemple jusqu'à l'organisation d'élections libres et équitables. Position qui s'applique évidemment aux différentes factions rebelles et aux territoires qu'ils maitrisent. C'est au peuple syrien dans son ensemble, et non aux chancelleries occidentales, arabes ou russe, de décider qui doit diriger le pays.
Dernière couleuvre à avaler: la participation sans condition de l'Iran. C'est absurde de penser que le Qatar et l'Arabie saoudite, qui ne sont pas plus démocratiques que cet Iran si détesté, puissent avoir leur mot à dire dans le conflit syrien alors qu'ils n'ont aucune frontière en commun, et que l'Iran en soit écarté alors qu'il se trouve dans la même situation.
Enfin, toutes les parties à la conférence doivent faire pression sur les différentes factions syriennes pour qu'elles rejoignent, sinon tout de suite, du moins à terme, la table de négociation. Celles-ci se battent entre elles, au prix de combats parfois acharnés, comme ce fut le cas récemment lors des attaques du Front islamique contre l'arsenal et le QG de l'Armée syrienne libre. Actuellement, cette dernière et le Conseil national syrien, qui avaient les faveurs des Occidentaux, tendent à perdre du terrain face au Front islamique et aux diverses obédiences radicales. Mais aucune de ces factions ne peut tenir sans les armes, l'argent et le soutien de ses sponsors étrangers. Ces derniers ont donc de bonnes cartes pour amener leurs obligés à résipiscence et ne pas céder à leurs caprices.
L'ancien chef de l'armée de l'air américaine et ancien patron de la CIA Michael Hayden estime d'ailleurs que le maintien de Bachar el-Assad est probablement le moins pire des trois scénarios qu'il entrevoit pour la Syrie. La pire option serait une radicalisation extrême et sans issue des factions sunnites (rebelles islamiques) et chiites (qui soutiennent le régime), Ensuite viendrait l'éclatement pur et simple de la Syrie avec un embrasement du Liban et de la Jordanie, avec tous les risques que cela comporte pour les pays limitrophes, Arabie saoudite et Qatar compris. Embasement qui pourrait menacer la sécurité de l'Europe, puisque les mouvements terroristes ne connaissent pas les frontières et ont une propension bien connue à se battre sur tous les fronts.
Si, au nom de prétendus principes droits-de-l'hommistes, l'Occident devait être à l'origine d'une déliquescence générale du Moyen-Orient avec l'étalement de guerres civiles entre extrémistes islamiques de la Libye à la Turquie, alors il faudra se poser de sérieuses questions sur ce coupable aveuglement.
Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi Assad n'est pas la cible prioritaire à abattre et pourrait au contraire, cruel paradoxe, contribuer à éviter le pire en faisant barrage au déchainement des ambitions et des haines religieuses. Toujours prompts à décréter le Bien et le Mal, à désigner les bons et les méchants, nous avons laissé passer le moment pour renverser Assad par la force. Aujourd'hui, il est trop tard et il ne servirait à rien de rajouter de la violence à la violence. Alors il ne nous reste qu'à mettre en pratique les beaux principes que nous proclamons: obliger tous les belligérants, sans exception, à déposer les armes en attendant de construire la paix avec eux dans l'espoir de battre les criminels de guerre par les urnes et par la justice plutôt que par la guerre.

Les commentaires sont fermés.