2014, année de tous les possibles pour la Suisse
Si 2013 aura été un bon cru pour la diplomatie suisse, grâce à sa participation au G20 de Saint-Pétersbourg, l’année 2014 pourrait être meilleure encore. Le cumul des deux présidences, celle de la Confédération et celle de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, apporte des atouts puissants dans le jeu de Didier Bukhalter. Un hasard qui ne s’était encore jamais produit et dont n’avait pas bénéficié le dernier président suisse de l’OSCE, Flavio Cotti, en 1996.
Bien sûr, l’OSCE n’est pas une organisation puissante dont les décisions sont contraignantes. Les affaires s’y traitent par consensus plutôt que par la force. Mais les Suisses sont plutôt doués pour créer les conditions du consensus et le moindre qu’on puisse dire, c’est qu’avec les tensions qui règnent actuellement entre l’Union européenne et la Russie à cause de l’Ukraine, le besoin de consensus se fait criant. Du coup, la Suisse a une occasion inespérée de jouer les bons offices aux plus hauts niveaux, avec un accès facilité aux chefs d’Etat. Ce qui n’est pas un mince avantage lorsque, par ailleurs, il s’agit de négocier de nouveaux accords bilatéraux avec les dirigeants européens. Une négociation n’empêche pas l’autre.
Ce contexte favorable, augmenté par la double présidence, pourrait donc permettre à la Suisse d’exercer ses talents de médiatrice discrète dans la plupart des dossiers de l’OSCE.
A commencer par l’Ukraine, paralysée par sa division entre pro-occidentaux et pro-russes et sans cesse ballotée entre les maladresses et les promesses illusoires de Bruxelles et les pressions de Moscou. Les Ukrainiens sont face à un choix impossible et ne peuvent choisir entre les deux, un peu comme les Suisses que l’on sommerait de choisir entre l’Allemagne ou la France. Dans ce dossier miné, les Russes verraient d’un bon œil une médiation suisse, ne serait-ce que pour rappeler aux Européens que les divergences ne sont pas tant économiques que militaires et géopolitique. La dimension sécuritaire n’est jamais mentionnée par les médias et les dirigeants occidentaux bien qu’elle soit au moins aussi importante que le gaz pour la Russie. Or, à travers le rapprochement avec l’Union européenne, c’est l’adhésion à l’OTAN qui transparait, l’Union européenne ayant toujours trainé l’OTAN dans ses fourgons lorsqu’elle faisait mine de s’ouvrir à l’Est. Pour la Russie, il est et sera toujours inacceptable que l’Ukraine bascule dans l’OTAN et passe corps et bien dans le giron du bouclier anti-missile américain dirigé contre elle. Le maintien de l’Ukraine comme Etat-tampon entre elle et l’OTAN est un impératif sécuritaire et géopolitique catégorique. La Suisse peut ramener un peu de raison dans cette affaire et contribuer à éviter que l’Europe ne bascule dans une nouvelle guerre froide. Elle sait mettre en avant ce qui réunit plutôt que ce qui sépare, en portant l’attention sur des préoccupations communes, fussent-elles triviales. Les sujets ne manquent pas : lutte contre le terrorisme et les cyberattaques, migration illégale ou trafic d’êtres humains. En avril, la Suisse a d’ailleurs prévu d’organiser une conférence sur la lutte contre le terrorisme dans le respect des droits de l’homme à Interlaken.
Dans les Balkans et le Caucase du Sud, la Suisse dispose de deux rapporteurs spéciaux, l’ambassadeur Gérard Stoudman, qui a dirigé le GCSP à Genève, et l’ancien directeur du CICR Angelo Gnädinger. Tous deux pourront avoir des accès à haut niveau. Dans les Balkans, les guerres étant finies, on pourra se concentrer sur les mesures de consolidation de la paix, processus électoraux, logement, normalisation du commerce et des déplacements, afin de favoriser la transition vers une pacification et une démocratisation effectives.
Dans le Caucase, la situation est plus complexe, avec deux conflits gelés. Les choses s’améliorent entre l’Ossétie et la Géorgie, de même qu’en Abkhazie, en dépit des tensions provisoires dues aux mesures de sécurité avant les JO de Sotchi. Mais ici aussi, la multiplication de petits gestes concrets peut faire avancer les choses. Au Haut-Karabakh en revanche, le conflit est complètement gelé. Il a même empiré ces derniers temps avec les discours agressifs de Bakou et la multiplication des tirs de snipers. Aucune solution n’est en vue et le mieux qu’on puisse espérer est un gel des opérations militaires. Sur le plan diplomatique, le dossier est de toute façon géré par le groupe de Minsk et ne relève pas directement de l’OSCE.
L’Asie centrale sera également au cœur des préoccupations en 2014, avec des changements géopolitiques d’importance suite au départ des troupes de l’OTAN de l’Afghanistan. On craint notamment des effets déstabilisateurs sur le Tadjikistan, dont le régime n’est déjà pas très stable, ainsi que sur l’ensemble de la sous-région. Le chef des 150 collaborateurs de la mission de l’OSCE à Duchambe est aussi un Suisse, Markus Muller, et il aura fort à faire pour veiller au grain et éviter une déstabilisation générale. Le rapprochement des Etats-Unis avec l’Iran n’est sans doute pas étranger à cette nouvelle donne, les deux pays ayant des intérêts communs à ce que la déstabilisation et le terrorisme sunnite d’Al-Qaida s’étende aux autres pays d’Asie centrale après le départ des troupes de l’OTAN.
On le voit, la présidence suisse n’est pas sans moyen et peut agir en médiatrice dans plusieurs dossiers en déployant toute son habileté à créer des consensus. Au sein de l’OSCE, les décisions se prennent par consensus, ce qui oblige du coup à avoir l’agrément de toutes les parties, y compris Européens de l’Ouest, qu’il s’agira aussi de rencontrer dans le cadre des accords bilatéraux Suisse-UE. Pour Didier Bukhalter, que son tempérament porte plutôt à l’understatement qu’au surjeu narcissique, ce sera un rôle sur mesure. Mais à condition de gérer l’agenda et le stress car le champ d’action est si immense et si multiple, entre la gestion des séances du Conseil fédéral du mercredi et celle des affaires du vaste monde, qu’il risque de dépasser les capacités physiques d’un seul homme.