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Tout est devenu propagande

Début septembre, le directeur général du groupe Al-Jazira était invité à la Fête de la communication, ce qui avait suscité un émoi ma foi assez compréhensible dans la mesure où le groupe est fortement suspecté de faire la promotion des Frères musulmans. Mais ce qui a le plus frappé l’auditoire, c’est le talent et la force de conviction qu’il a mobilisés pour défendre la cause de l’information, du journalisme et des journalistes arrêtés, emprisonnés, torturés out tués dans la pratique de leur métier. Un de ses collaborateurs emprisonné de longues années pour rien à Guantanamo l’accompagnait d’ailleurs. Et quand il a affirmé avec aplomb qu’Al-Jazira était plus objective que la BBC, beaucoup sont restés bouche bée.
Tout simplement parce que, dans un certain sens, c’est très vrai.
Pour notre génération, la BBC est un modèle d’objectivité et de professionnalisme. Mais il faut dire c’était, car elle ne l’est plus. Pas plus que le Financial Times ou l’Economist sont des modèles du journalisme économique, tant ils se sont vendus à l’école économique dominante, celle de l’offre, de l’austérité et de la finance, celle qui accapare les Prix Nobel d’économie et qui abreuve de ses commentaires les colonnes de la presse économique. La distance critique, le scepticisme méthodologique, le questionnement maïeutique, la curiosité d’aller voir de l’autre côté du miroir, tout cela a disparu corps et bien. L’information économique se résume à chanter les louanges du libre marché et à condamner aux enfers la redistribution des richesses et la régulation étatique en entrelardant ces refrains de commentaires boursiers et de résultats semestriels des entreprises.
Cette évolution est la même dans tous les grands médias occidentaux qui ont faisaient jadis notre fierté.

Chez les journalistes de la périphérie qui observent ce phénomène, en Asie, en Afrique, en Amérique latine et dans les pays arabes, la déception est grande et la critique acerbe. Ils supportent de moins en moins le côté donneur de leçon d’éthique des médias occidentaux alors même qu’ils ont abandonné toute objectivité et tout souci de mise en perspective des conflits et des tensions qui minent la planète.
Du moment que les journalistes sont « embedded », incorporés dans les troupes américaines pour suivre la guerre et produire des images formatées par le haut-commandement, comment peut-on reprocher à Al-Jazira de suivre les combattants du Hamas à gaza ou pro-Morsi en Egypte ? Surtout quand on sait que le Hamas a gagné les élections en 2007 et les Frères musulmans celles d’Egypte en 2012. Que vaut encore notre prétendu soutien à la démocratie quand on récuse les résultats sortis des urnes à Gaza et Caire et qu’on soutient un putsch contre le gouvernement élu à Kiev ? La manière dont on a couvert les deux grands conflits de l’été en Palestine et en Ukraine est, du point de vue de l’information, un scandale. Les 3000 morts de Gaza n’ont pas valu une seule réprimande officielle et encore moins de sanctions à Israël alors que les 3000 morts d’Ukraine ont déchainé les critiques de tous les médias et de tous les gouvernements occidentaux bienpensants contre Poutine et la Russie. Dans le conflit ukrainien, les médias n’ont cessé d’accuser la Russie d’invasion, invasion qui n’est jamais venue sauf dans la tête des conseillers en communication américains qui conseillent le président Porochenko. La quasi-totalité des soi-disant experts interrogés par les grands médias sont issus des antennes européennes de think tanks américains financés par les néo-conservateurs. A aucun moment, on a remis en question l’objectivité de ces sources. Le problème est que, intoxiqué petit à petit par le poison de la propagande, nous ne nous rendons plus compte que l’information qu’on nous sert est complètement biaisée et formatée par les communicants et experts de tout poil qui infestent la communauté journalistique.
Il ne s’agit pas ici de désigner les bons et les méchants, de vilipender les uns pour encenser les autres, ce travers bien connu de nos médias, qui devraient bien au contraire exercer leur fonction critique à l’égard de tous les camps. Il s’agit juste de démontrer que si nos médias perdent de l’audience, c’est qu’ils ne nous informent plus, ou en tout cas plus assez bien. Pour savoir ce qui se passe désormais, il faut voir la BBC et Al-Jazira, les TV officielles européennes et Russia Today, le Financial Times et les sites alternatifs, CNN et la CCTV chinoise. Car c’est seulement en suivant attentivement la propagande et la contre-propagande qu’on peut espérer se faire une idée pas trop fausse de l’état du monde.

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