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Philosopher sur la liberté en Chine

Parler de la liberté en Chine? C'est aussi naturel que de manger des nouilles. La seule différence, c'est que les Chinois mangent avec des baguettes. Si l'on admet cette différence, alors oui, les Chinois aiment autant la liberté que nous même s'ils en usent autrement.
Lors de mon dernier voyage en Chine, alors que la discussion dérivait inévitablement sur la liberté, j'ai été frappé par l'un de mes amis Chinois qui singeait les journalistes étrangers qui découvraient leur pays pour la première fois. De façon drôle et ironique, sans aucune gêne, il imitait le journaliste qui voulait absolument interviewer l'homme-de-la-rue-sur-la-liberté-en-Chine. Comment, en effet, les Chinois peuvent-ils supporter de vivre dans ce goulag à ciel ouvert qu'est toujours la Chine communiste en ce début de XXIe siècle? Très bien, et c'est ce qu'ils répondent au journaliste occidental médusé. Difficile en effet de croire que les gens disent vrai quand on n'a presque rien lu d'autre sur la Chine que des articles sur la pollution et les violations des droits de l'Homme.
Et pourtant les Chinois sont comme nous, ils aiment la liberté! J'ai donc, une fois de plus, abordé ce thème avec l'un des plus grands peintres classiques chinois, Maitre Fang Zhen. Un artiste peut-il créer librement sous une dictature? Voici ce qu'il m'a répondu: alors que vous autres Occidentaux ne considérez qu'une liberté, nous Chinois nous en avons trois. Tout comme vous, nous apprécions la liberté sociétale, celle qui s'épanouit dans les limites de la morale et du droit, chaque société ayant le droit de décider elle-même quelles limites elle entend poser à cette morale et à ce droit. Mais nous chérissons aussi la liberté de la raison, celle qui nous permet l'intelligence des choses, de la vie, de la société, et sans laquelle il n'est pas de vrai savoir.

Et surtout nous apprécions par dessus tout la liberté intérieure. Celle qui permet de se détacher des contingences de l'immédiat, de l'argent et de l'ambition, des modes et des foucades du marché de l'art. Pour créer, un artiste doit défendre toujours sa liberté intérieure, sans laquelle toutes les autres libertés ne sont que vaines paroles.
Pas mal, non? Voilà en tout des réponses qui devraient faire méditer tout journaliste un peu trop pressé de tendre son micro pour traquer le manque de liberté des Chinois.
Un autre malentendu provient du fait que les uns et les autres ne donnent pas le même sens au mot liberté. Pour nous, la liberté est avant tout politique, c'est le droit de voter comme on veut et d'élire qui on veut. Peu importe que nous soyons le reste du temps prisonniers de mille règlements tatillons, d'une surveillance digitale implacable, de contraintes sociales étouffantes. Pour les Chinois, qui ont subi le joug des Anglais au XIXe siècle et celui des Japonais au XXe, et qui sentent le poids des Américains au XXIe, la liberté, c'est d'abord l'indépendance. C'est la jouissance de sa pleine et entière souveraineté, de s'épanouir dans sa langue et sa culture sans se voir imposer des diktats par des puissances extérieures. La plupart des anciens pays colonisés pensent la même chose et c'est pourquoi nombre d'entre eux préfèrent (encore) l'indépendance à la liberté politique.
Cette réalité est naturellement difficile à admettre pour les anciens colonisateurs occidentaux, qui ont perdu leurs colonies mais sont restés convaincus de leur incomparable supériorité morale et culturelle.
Je ne sais pas jusqu'à quand les Chinois tiendront ce discours et je ne veux pas troquer ma liberté contre la leur. Mais je suis convaincu que le monde est beaucoup plus libre quand il n'y règne pas qu'une seule et unique façon de concevoir la liberté.
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