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Oligarchies et démocraties dynastiques

Fort des grandes valeurs humanistes des Lumières françaises, l’Occident aime à donner des leçons de démocratie et de droits de l’Homme au reste du monde. A ses yeux, rien ne remplace les valeurs universelles ancrées une fois pour toutes dans la Déclaration des droits de l’Homme.
Fort bien.
Mais on ne nous empêchera pas, comme nous le faisons régulièrement dans cette rubrique, de réinterroger ces valeurs et de les soumettre à la critique des valeurs humaines apportées par d’autres civilisations et de pratiques qui sont souvent en contradiction avec les principes affichés.
La dérive oligarchique et dynastique de nos démocraties est devenue, entre autres, l’un des phénomènes les plus inquiétants pour l’avenir de nos démocraties. La croissance des inégalités de richesses et notamment des très grandes fortunes n’a pas que des conséquences économiques et sociales, elle a aussi des effets politiques. Elle génère des formes de lobbyisme et de clientélisme qui corrompent le fonctionnement de la démocratie. La théorie des lobbies et des associations, comme celle de la concurrence en économie, vaut tant que ces associations s’équilibrent ou se contrebalancent. Mais quand le curseur se met à pencher d’un seul côté, le système se pervertit peu à peu.
C’est ce qui est en train de se passer. Les parlements, de Strasbourg à Genève en passant par Berne, sont devenus des chambres d’enregistrement des lobbies les plus puissants, qui ne cessent d’amender les lois en leur faveur, c’est à dire en vue d’obtenir des avantages commerciaux et fiscaux qui vont à l’encontre des intérêts de la majorité du peuple et de la souveraineté nationale. Le développement des instances supranationales est souvent un moyen d’évincer la démocratie. C’est d’ailleurs tout le problème de la construction européenne, qui commence à tousser depuis que les peuples ont compris l’enjeu et se mettent à faire de la résistance.

L’autre évolution inquiétante concerne la tendance de plus en plus marquée des élites à se reproduire en vase clos. Cela a toujours été le cas depuis le néolithique et l’urbanisation. Mais après 1945, on avait pu, en Europe et aux Etats-Unis, constater une certaine démocratisation des institutions et un élargissement des élites grâce à un ascenseur social qui fonctionnait. Aujourd’hui, le cumul et la concentration des pouvoirs sont redevenus la règle. Le pouvoir économique est toujours resté confiné à une fine couche d’administrateurs qui se cooptent entre eux. L’ouverture aux femmes n’a pas modifié la donne. C’est surtout le champ politique qui se resserre. Partout les coûts des campagnes électorales explosent, notamment aux Etats-Unis. C’est désormais en milliards de dollars qu’elles vont se chiffrer. Ce qui exclut d’emblée les candidats « pauvres », qui n’ont pas le réseau social qui leur donne accès aux entreprises et aux donateurs milliardaires. Lesquels ne donnent rien gratuitement. Le crowd funding n’est pas une alternative : c’est plus un instrument de marketing, un gadget destiné à faire « peuple, qu’un moyen de financement capable de faire pencher la balance. Et ce n’est en tout cas pas un moyen de se libérer de la tutelle de l’argent.
Le symbole de cette funeste évolution est très visible aux Etats-Unis, avec la création de véritables dynasties politiques tant chez les républicains que chez les démocrates. Avec la candidature de Jeb Bush, nous serons à la troisième représentation de la famille Bush, et avec celle d’Hillary au deuxième Clinton, en moins de 30 ans. Si Jeb Bush est élu, nous aurons eu, en deux décennies, autant de Bush à la tête de la première puissance mondiale que de Poutine à celle de la Russie.
Même les si honnis dirigeants chinois ont la délicatesse de s’effacer après dix ans de pouvoir. Et on aime concentrer nos critiques sur Poutine et ses supposées dérives autocratiques. Mais je me demande si on ne devrait pas d’abord balayer devant notre porte …
A l’instar du très libéral Economist qui titrait sur « la nouvelle aristocratie américaine » dans son édition de fin janvier, je pense que le moment est venu de nous inquiéter de la lente mais sûre transformation de nos systèmes démocratiques en aristocraties oligarchiques et de retourner aux sources des Lumières, celles de Montesquieu et de Rousseau.
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