Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Visions d'un autre monde

Les hasards de l'agenda, de conférences à suivre et à donner, de réunions et d'assemblées à tenir m'ont amené à labourer la moitié de l'Asie, de la Mongolie au nord de la Russie en particulier.
Loin, très loin de la canicule et de la sordide comédie que l'Allemagne a fait jouer à la Grèce pendant ces dernières semaines.
J'en ai tiré deux ou trois leçons réconfortantes. Rien d'original, mais autant de piqûres de rappel salutaires.
La première, c'est que le monde ne tourne pas qu'autour de l'Europe. Au milieu des steppes mongoles, pas de wifi ni de réseau téléphonique stable, pas de canicule, pas de combat inégal entre Tsipras et Merkel ni de match incertain Etats-Unis - Iran. La préoccupation du moment, c'est le manque de pluie, les rivières à sec, le bétail qui crève de soif et les touristes condamnés à se décrasser avec quelques gouttes d'eau minérale. Cela ramène les préoccupations autour du Grexit et de la survie de l'euro à de plus justes proportions et, vu de là-bas, ce qui fait la une de nos journaux se résume à un minable combat de coqs entre une chancelière armée jusqu'aux dents et un poulet déplumé.
Heureusement, la veille de mon départ, il a plu un peu et les Mongols étaient contents.
La deuxième, c'est que la nature existe encore. En Suisse, en Europe, pas un centimètre carré de terre qui n'ait été arpenté, défriché, cadastré, taxé. En Mongolie, pays de 3 millions d'habitants gros comme trois fois la France, et en Russie du Nord, l'espace et la nature dominent. Plus tout à fait vierges, mais presque. La Mongolie est sale parce que les Mongols n'ont pas encore intégré que le plastique ne se dégradait pas. La Russie, elle, est propre. Mais jamais aussi bien qu'au milieu de ces immenses paysages, on ne se sent aussi proche de la nature, comme à l'aube de l'humanité presque, parce que la main de l'homme n'y a encore commis aucun dégât irréversible.
Sentiment rare, qui ne saurait durer hélas.

La troisième, c'est que le nivellement culturel et technologique partout à l'oeuvre n'a pas encore aboli toutes les différences. Bien sûr, le Coca Cola et les Kentucky Fried Chicken prolifèrent comme la peste et le choléra. Mais des poches de résistance subsistent encore. J'aime l'idée qu'on doive camper à la belle étoile parce qu'il n'y pas d'hôtel, que l'hospitalité mongole n'est pas un vain mot et qu'il faille marcher dans 20 centimètres de crottin sec de cheval ou de chèvres (le bois de chauffage pour l'hiver!) avant d'entrer dans une yourte où trône un écran LED alimenté par une vielle batterie de 4x4 soviétique. Ou que d'infortunés passagers puissent partager la dernière bouteille de vodka en attendant que la météo permette à l'avion de décoller (pas parce qu'on est pressé de partir mais parce qu'il n'y a plus de vodka).
Dernière leçon, l'humanité n'est pas encore faite que de comptables. Pendant que Mme Merkel et les banquiers de l'Eurogroupe comptent leurs euros grecs comme des Picsou, il existe ailleurs, à des milliers de lieues, des gens qui ne pensent pas qu'à leurs millions. Aux ìles Solovki, au milieu de la Mer Blanche, existe un merveilleux monastère classé au patrimoine de l'Unesco, qui fut la matrice du futur goulag. Un colloque y réunissait des descendants des victimes, 90 ans après. Ce fut émouvant de simplicité et d'humanité parce que sans falbalas officiels ni rhétorique ampoulée et larmoyante sur l'obligatoire repentance. Comme me le disait un descendant de zek : "Mon père a été arrêté et déporté cinq fois par Staline mais notre famille n'aurait pas pu survivre sans l'aide d'un beau-frère qui était lui aussi communiste. Il n'y a pas de noir-blanc."
J'ai souvent l'impression que c'est nous autres Européens, qui avons pourtant échappé à beaucoup de misères et de massacres et bénéficions de conditions de vie exceptionnelles, qui pensons le monde en noir-blanc, en bons (nous) et méchants (les autres). Alors que ce sont plutôt les autres qui pensent le monde en couleur, avec des variétés de tons et de teintes bien plus riches et chatoyantes que les nôtres, des émotions et des sentiments bien plus justes que notre sèche rationalité et notre pseudo-moralité.
Lien permanent Catégories : Général

Les commentaires sont fermés.