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La Cité de la musique est morte, vive la Cité des Musiques

Faut-il jeter par-dessus bord le projet de Cité de la Musique ? Faut-il au contraire le maintenir coûte que coûte en s’asseyant sur le refus populaire exprimé à 50,8% des voix lors de la votation du 13 juin dernier ? Ni l’un ni l’autre, pensons-nous, car il existe des alternatives possibles. Et dont l’une est peut-être même meilleure que l’originale.

La question politique d’abord. Avant la votation, les initiateurs et leur comité de soutien n’ont cessé de proclamer, à juste titre, que ce projet était nécessaire pour Genève, et notamment pour la Haute Ecole de Musique dont les locaux actuels sont éparpillés partout dans la ville. Si cette assertion est vraie, alors le projet doit être poursuivi. Le besoin reste et il faut lui trouver une réponse satisfaisante.

Après la votation, certains ont plaidé pour son maintien tel quel et passer outre au vote populaire, les citoyens de la Ville n’ayant donné qu’un avis consultatif non contraignant. C’est constitutionnellement exact mais ce serait politiquement désastreux. Faire comme si de rien n’était serait un déni de démocratie regrettable, et perçu comme tel par la population. Une majorité de 50,8% reste une majorité, sinon plus aucun vote démocratique ne se justifie. Si le camp du oui l’avait emporté avec la même faible marge, aurait-il accepté que la minorité remette en question le vote sous prétexte qu’il avait été perdu que de très peu et qu’il aurait fallu faire voter l’ensemble du canton ? Aurait-il renoncé à son projet ? Non, il aurait dit qu’une majorité est une majorité, même ténue.

Il importe donc de poursuivre le projet, en raison de son intérêt, mais aussi en tenant compte du préavis populaire. Ce qui conduit par conséquent à le modifier, au moins en partie, afin de lui donner la légitimité qui lui a manqué.

Car il existe au moins une alternative possible, réalisable dans un laps de temps assez bref étant donné les travaux déjà effectués. La première étape consiste à mieux définir les besoins aussi bien en termes de musique que d’espaces verts. N’oublions pas que si le projet a échoué, c’est à cause d’une coalition des oppositions provenant des milieux musicaux extérieurs au classique mais aussi des associations de protection de l’environnement (arbres et verdure) et du patrimoine (destruction de la maison des Feuillantines).

Premier constat : il y a des besoins en termes de musique mais aussi d’espaces verts. On peut le déplorer mais c’est ainsi et le projet rénové doit en tenir compte.

Sur le plan musical, le projet avait pour défaut de se cantonner à la seule musique classique et de le faire sans lien avec la Genève internationale, ce qui était un paradoxe puisqu’il s’inscrivait sur une parcelle de l’ONU ! On pourrait donc élargir le concept en réinterprétant l’idée de Philharmonie des Nations lancée à l’époque par Yehudi Menuhin et Leonard Bernstein. Il existe déjà un Orchestre des Nations. Pourquoi ne pas l’intégrer à l’OSR pour en faire une vraie philharmonie, en concertation avec les traditions classiques mondiales et non plus seulement locales ? Et, dans les laboratoires et lieux d’échanges prévus, pourquoi ne pas élargir la palette aux autres formes de musique, et cela aussi bien sur le plan local qu’international ?

 

Comme l’a fait remarquer une opposante au projet, Béatrice Graf, « ce qui manque, ce sont d’abord les moyens financiers pour les musiques actuelles de création (jazz, rock, rap, salsa, électronique, chanson française, improvisation, performances, musiques du monde, pop) qui représentent 85 % des musiques écoutées et jouées et ne reçoivent que 6 % d’argent public du domaine musique. Des dizaines d’institutions, associations, organisateurs, salles de concert, acteurs de la musique et culture vivante demandent depuis trente ans un rééquilibrage des dotations publiques qui ne vient jamais. » Cette demande doit être entendue.

On se plaint des fonctionnements en silos mais on ne fait rien pour les abattre ! Qu’est-ce qui, au sein d’un tel projet, empêcherait de faire travailler aussi bien les musiciens locaux qu’internationaux et la musique classique avec les autres formes de musique ? A part un certain snobisme, rien !

Voilà pourtant une idée qui permettrait de restaurer l’esprit de Genève, inclusif et multilatéral, que l’on vante tant par ailleurs.

Quant à la préservation de l’environnement, la solution est simple puisqu’il suffirait de déplacer le projet du nord au sud de la Place des Nations, sur l’emplacement de la boucle des trams TPG, appelée à disparaitre dans un avenir proche, et sur le terrain Rockefeller occupé précédemment par l’Opéra des Nations. Rien en s’y oppose, puisque le legs Rockefeller permet de construire à condition que ce soit par un organisme sans but lucratif et sur validation de l’ayant-droit, à savoir l’ONU et l’Université de Genève. Ce transfert permettrait de préserver l’espace Rigot et, surtout, de transformer le parc et la maison des Feuillantines en parc public et en lieu d’accueil ou de travail pour les étudiants de la HEM sans toucher à un seul de ses arbres ni à son patrimoine bâti !

Si l’on regarde les choses plus en détail, on constate en effet que le périmètre du plan localisé de quartier sur lequel portait le vote est constitué de quatre parcelles : trois appartenant au Canton de Genève et une appartenant à l’ONU. L’ONU n’était pas vendeuse pas mais comme elle a de la peine à se payer sa rénovation du Palais des Nations, elle a accepté de louer au canton, via un droit de superficie d’une durée de 90 ans, la partie du terrain qui lui appartient moyennant une rente unique de 25,6 millions de francs. Le canton a signé en 2014 une convention avec la Fondation de la Cité de la musique dans laquelle il offrait la jouissance des parcelles concernées par le PLQ à la Fondation, qui s’engageait à payer les 25,6 millions à l’ONU.

Il suffirait dès lors d’associer au niveau projet la Ville de Genève, qui a déjà manifesté son intérêt, pour qu’elle reprenne le terrain à la Fondation de la Cité de la musique, laquelle pourrait les affecter au nouveau projet. Et du coup, la Ville gagnerait un nouveau parc public de trois hectares. Par ailleurs, le concept élargi pourrait également intégrer le projet de Portail des Nations qu’Ivan Pictet cherche à développer depuis des années au même endroit pour faire le lien entre la Genève locale et la Genève internationale, et devisé à une vingtaine de millions.

A nouveau, il s’agirait d’être inclusif et multilatéral, en mettant ensemble la Ville, le canton, la Fondation Wilsdorf et le secteur privé, la musique classique et les autres musiques ainsi que les musiciens amateurs et professionnels, locaux et internationaux. Pour les étudiants de la HEM, cette ouverture serait elle aussi inestimable. Enfin, cette approche permettrait également de trouver d’autres sponsors et fondations (fondations Aga Khan, Agnelli, laquelle vient de faire un don conséquent au CERN récemment, etc.) tant pour la construction que pour l’exploitation, ces derniers ayant renoncé à investir dans une structure purement locale, aussi bien dotée soit-elle. Une telle ouverture permettrait en effet de trouver des ressources extérieures pour financer le budget d’exploitation de la future Cité, estimée à 13 millions de francs, et qui, s’il restait limité au classique, déséquilibrerait encore davantage le budget de la culture en faveur de la musique classique.

Le dossier est complexe mais la solution existe si on se donne la peine de la réexaminer sans œillères. Les besoins, les idées, l’espace, le financement existent, il suffit maintenant de faire un ultime effort de volonté, d’imagination et de concertation pour le mener à bien.

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