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De la Singine chaude aux libertaires fribourgeois

 

Lac Noir - Zollhaus - Planfayon - Rechthalten – Saint-Ours - Bourguillon – Fribourg

 

Départ en douceur un peu avant neuf heures en suivant le cours de la Singine dite « chaude » qui s’écoule du Lac Noir. Ses eaux sont plus tempérées que la Singine « froide » qui, elle, descend du lagon bernois de Gantrisch, situé 500 mètres plus haut et moins exposé au soleil. Les deux bras de la Singine se rejoignent à Zollhaus, un lieu-dit qui abrite aujourd’hui une immense scierie et semble avoir perdu depuis longtemps sa fonction de douane.

Le sentier suit le lit de la rivière à l’ombre des arbres et fait profiter le randonneur de la fraîcheur de l’eau. Les premières heures de marche sont d’autant plus agréables que mes crampes semblent avoir décidé de ne pas trop me torturer ce matin.

A Planfayon, seul le café est ouvert. Depuis hier, la température a augmenté d’une dizaine de degrés et le thermomètre flirte avec les 30 degrés. La traversée du plateau s’annonce rude. Les côtes sont peu élevées mais font beaucoup transpirer. A Rechthalten, le restaurant affiche complet. Faute de terrasse, il faudra se contenter d’un champ récemment fauché, en compagnie d’un renard que le bruit des botteleuses et des moissonneuses-batteuses qui s’ébrouent au loin ne semble pas déranger.

Les montagnes ont disparu. A l’approche de Fribourg, les villages se garnissent de zones résidentielles. Le chemin quitte les prairies et les champs de blé pour s’enfoncer dans des quartiers de villas, sans transition. Hier encore, du blé, du foin ou du seigle poussaient peut-être sous ces immeubles et ces gazons ripolinés.

A Saint-Ours, une terrasse ombragée offre ses chaises confortables. Trop tard. Le patron vient de fermer sa caisse et fait ses comptes avec son employé. Il s’apprête à baisser le rideau pour trois semaines. Il part cet après-midi même en Turquie. Quarante heures et 2800 kilomètres de route l’attendent jusqu’à Ankara. Qu’à cela ne tienne ! Il vient d’un pays où l’on ne transige pas avec les lois de l’hospitalité. Il m’offre une bière limonade bien fraîche et s’engouffre dans sa voiture chargée à ras bord. Sa terrasse est à ma disposition. Je n’aurai qu’à poser les bouteilles vides dans un coin en partant.

Encore un dernier effort pour atteindre Fribourg par la route de l’est. Le chemin des gorges du Gottéron est fermé à cause des intempéries. Enfin, du sommet de Bourguillon, on aperçoit la cathédrale Saint-Nicolas à travers les frondaisons. Reste à descendre jusqu’à la Sarine, au fond de la gorge, en traversant les impressionnantes fortifications médiévales qui marquent l’entrée dans la ville basse, avant de remonter à l’Hôtel de Ville.

Sur la place, j’appelle mon ami Francis qui doit venir me chercher pour partager une fondue chez lui, dans la Glâne, à une quinzaine de kilomètres de Fribourg.

 

Francis est un ami de collège. On se connaît depuis plus de cinquante ans. Il n’a pas changé. Toujours anticonformiste et critique du « système » qu’il s’est efforcé de piquer de l’intérieur. La dernière fois que j’ai passé chez lui, il faisait de l’agriculture bio et nous étions allé vendre ses légumes au marché de Fribourg, près de la cathédrale Saint-Nicolas. Aujourd’hui, après avoir tâté de l’hypnose, il s’occupe de son fils trisomique avec un dévouement qui force l’admiration. Nous commençons par partager nos expériences politiques, Francis s’étant présenté cinq fois aux élections fribourgeoises, toujours comme candidat indépendant, soit au Conseil d’Etat, soit aux Conseils national ou des Etats.

Il faut dire que Francis a de qui tenir. Lui et ses quatre frères ont défrayé la chronique fribourgeoise et romande pendant des décennies. Il n’a jamais renoncé à ses idéaux, quoiqu’il lui en ait coûté. Il a toujours défendu des valeurs écologistes et libertaires, en dehors de tout parti, avec une constance de sage stoïque. Et il n’a jamais fait mystère de ses préoccupations spirituelles, qui sont aussi une marque de sa famille, malgré ses démêlés avec la justice.

Son frère Jean-Bernard, après une jeunesse hasardeuse, a milité pour les mêmes idéaux avec sa compagne Judith Baumann en transformant leur Pinte des Mossettes en haut lieu de la gastronomie naturelle et de la résistance aux grands distributeurs, à la bouffe industrielle et au syndicat de l’agrochimie. Quant troisième des frères, Jacques, plusieurs fois condamné, plusieurs fois évadé, rangé des voitures et devenu cuisinier-restaurateur après avoir fait le tour de toutes les prisons du pays, il est resté, à 70 ans, l’anarchiste engagé et le rebelle qu’il a toujours été.

Je me souviens qu’à l’âge de vingt ans, alors que je déposais Francis chez ses parents à Autavaux et que je sortais la valise du coffre de la voiture, leur père m’avait lancé cette boutade mi-ironique, mi-résignée : « Merci. Vous me ramenez le seul fils qui ne soit pas en prison. »

Quarante-cinq ans plus tard, les frères Fasel n’ont pas fini de nous surprendre. Ni de nous apprendre ce que signifient les mots engagement et liberté.

 

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