La Suisse romande, ce grand mythe
Le redécoupage des frontières communales ou cantonales est à la mode en Suisse. Journalistes, politiciens, experts en tous genres retrouvent leurs plaisirs d’écoliers quand ils peuvent redessiner les vieilles cartes Dufour avec des crayons de couleur. Ici, c’est Jean Studer qui sauve une campagne électorale terne avec l’idée d’un super-canton du Jura qui s’étendrait du Locle à Porrentruy. Là, ce sont l’Hebdo et la TSR qui remettent au goût du jour une Romandie qui ferait pièce à l’omnipotence zurichoise.
C’est amusant, ça fait rêver (pas trop), on caresse l’ego minoritaire dans le sens du poil, mais dans les faits on ne fait que sacrifier inutilement au dernier slogan du jour : « big is beautiful », plus c’est gros, plus c’est beau. C’est vrai que la globalisation a créé le besoin de grands espaces et fait sauter le seuil habituel des masses critiques. Mais le complexe du petit, qui nous hante, nous autres de la minorité francophone, ne doit pas nous obséder au point de nous aveugler sur les tendances lourdes qui labourent le terroir romand et contredisent parfois la doxa dominante.
Un mois après le déluge d'articles élogieux sur le super-canton jurassien, le canton du Jura lâche la promotion économique romande et conclut un accord de coopération économique avec Bâle. Dans le même temps, les constituants genevois rêvent de découper la Ville de Genève en rondelles et de revenir aux années 1930, avant que les communes des Eaux-Vives et du Petit-Saconnex ne fusionnent avec le centre. Un « progrès » qui va à l’encontre de tout ce qui se dit, s’écrit et se pense ailleurs en Suisse. Et comment concilier le projet d’agglomération franco-valdo-genevoise avec l’éclatement du canton en une poignée de nouvelles communes de taille moyenne, privées de centralité, d’homogénéité et donc de dynamisme interne ? Inversement, la renaissance d’une ville comme Renens, que l’on disait sinistrée, montre qu’une communauté territoriale modeste peut surmonter ses handicaps toute seule.
Ces exemples montrent que le redécoupage du territoire - fusion de petites communes et très proches d’esprit mise à part - n’a guère de sens et que les vrais enjeux sont ailleurs. Ils sont dans les infrastructures (rail, route, aéroport) et des projets structurants pour la région (swissmetro, CEVA, traversée du lac…), l’investissement dans la matière grise et la mise en commun des ressources de recherche et de développement (campus communs, technologies et centres de recherches partagés). Sur le plan politique, l’accent devrait être mis sur une coopération accrue (harmonisation scolaire et du système fiscal, lobbyisme commun face aux Alémaniques). L’énergie réformatrice devrait se cristalliser contre les tabous paralysants (adhésion à l’Union européenne).
L’envie de Suisse romande est une réaction compréhensible contre le cantonalisme et l’esprit de clocher. Mais elle ne devrait pas se figer dans un territoire, horizontalement. Au contraire, elle doit jaillir par le haut, verticalement.