Construire à Genève, un acte courageux
Discours prononcé le 20 mai 2010 à l’occasion de l’inauguration de l’Assemblée générale de la SSE Section Genève
Tout d’abord mile mercis de m’avoir incité à votre assemblée générale et de me donner l’occasion de vous adresser quelques mots à cette occasion. Depuis des années, je frappe à la porte de mon ami Gabriel Barillier pour être admis dans le cercle très exclusif des députés qui soutiennent le bâtiment. Mais contrairement à l’école genevoise, l’admission n’est pas automatique et il faut travailler dur pour réussir cet examen. J’espère donc aujourd’hui être jugé apte à entrer dans ce prestigieux cénacle.
J’ai conscience que l’exercice qu’on me demande ce soir n’est pas facile, tant les tensions entre le monde politique et les milieux de la construction sont vives en ce moment dans notre République. J’ai conscience de la profonde déception de beaucoup d’entre vous suite à l’attribution des lots du CEVA, qui est venue s’ajouter à la frustration légitime engendrée par les blocages incessants qui entravent la réalisation des grands projets de construction de logements et d’infrastructures dont notre canton a pourtant tant besoin.
Il est vrai que les politiques n’ont que trop tendance à oublier l’importance du secteur économique que représente la construction à Genève : 200 entreprises et quelque 4'500 travailleurs pour le secteur principal, 1'400 entreprises et 12'000 travailleurs pour l’ensemble des métiers du bâtiment, ce n’est pas rien. Mais les élus viennent souvent des professions libérales, fort honorables au demeurant, comme les avocats et les médecins, voire de la fonction publique comme les enseignants et les policiers, tous gens fort honorables mais qui manient mieux les paroles que la truelle et le fer à béton. Par ailleurs, le secteur de la construction est formé d’entrepreneurs qui travaillent et qui n’ont pas le temps de fréquenter la buvette du Grand Conseil. Heureusement, cette relative indifférence est tempérée par un noyau actif de députés conscients des enjeux que représente le secteur de la construction.
C’est dans ce contexte mélangé est venu se greffer le problème du CEVA. Le monde de la construction s'est battu pour faire accepter cet important projet qu'est la liaison ferroviaire Cornavin-Annemasse. J’en ai été le témoin puisqu’avec Gabriel Barillier nous avons été les fers de lance du combat pour le CEVA et cela alors que le Conseil d’Etat est resté muet durant toute la campagne. Si nous avons gagné cette bataille, c’est d’abord grâce à vous.
Mais aujourd’hui, nombre d’entre vous se sentent trahis par un Gouvernement qui ne semble pas avoir tenu ses promesses lors de l’adjudication des travaux, et cela bien qu’il finance 43% du montant total du projet.
Comment convaincre les maîtres d'ouvrage publics genevois de favoriser les entreprises locales, notamment en prenant en considération les retombées directes pour le canton, tant en termes de recettes fiscales qu’en termes de dépenses générales de consommation, lesquelles exercent un effet stabilisateur sur l’économie en ces temps de crise ?
La réponse à cette question, je vais être franc avec vous, ne va pas de soi pour les responsables politiques. Ceux-ci se trouvent en effet pris entre deux feux, écartelés entre le désir de soutenir l’économie locale et la quasi obligation d’accepter l’offre la moins chère. S’ils attribuaient des travaux à une entreprise ayant soumissionné à des prix supérieurs à celui des concurrents, ils se verraient aussitôt dénoncés devant les tribunaux et traînés dans la boue par la presse qui les accuserait de dilapidation des deniers publics, de copinage ou de clientélisme politique. Un soupçon qui résonne comme un arrêt de mort pour la carrière politique d’un élu. C’est pourquoi les politiques se retrouvent piégés. Et comme ils ne sont pas suicidaires, ils préfèrent botter en touche et esquiver le problème.
C’est donc sur d’autres critères qu’il faut jouer pour trouver un équilibre sain entre la nécessité de construire à des prix raisonnables et celle de préserver le tissu économique local. Ces critères objectifs existent. On pense notamment au développement durable, qui permet de mettre en avant des critères comme la proximité, la limitation des transports, les aspects sociaux, les règles élémentaires en matière d'hygiène, de santé et de sécurité, et la formation professionnelle. J’ai ainsi déposé un projet de loi pour obliger les pouvoirs publics à prendre en considération les coûts environnementaux dans le prix global des projets de construction, ce qui permettrait de mieux tenir compte des externalités causées par le recours à des entreprises extérieures. Une idée qui est hélas combattue par certains partisans de la concurrence à outrance. Mais c’est dans ce sens qu’il faut creuser, et je suis sûr que, dans ces domaines, nous pouvons trouver de nombreux alliés convaincus de la nécessité de préserver les emplois et l’environnement dans notre région.
Un autre moyen de soutenir les entreprises locales sans porter atteinte aux règlements sur les marchés publics consiste à supprimer les "Genfereien", ces genevoiseries qui sont un produit hélas si typique de notre terroir genevois. Au gré des décisions et des votations, le canton de Genève continue à accumuler des législations plus restrictives sur certains sujets, et qui vont bien au-delà des lois et règlements en vigueur sur le plan suisse. C'est notamment le cas des filtres à particules. Ceci se traduit par d'importants inconvénients pour les entreprises genevoises : les fournisseurs de machines ne faisant pas de distinction entre les cantons, cela implique des modifications techniques des machines qui coûtent cher aux entreprises. Au surplus, il faut savoir que la technologie actuelle ne permet parfois pas d'équiper certaines machines.
Mais c’est aussi le cas pour les crèches, dont les normes de construction édictées par l’Etat, sont surréalistes et inutilement coûteuses. Elles n’ont pour résultat que d’entraver la construction de nouvelles crèches par les communes et les entreprises privées. Dernier exemple, les voies de recours qui bloquent tant de projets dans notre canton. Tantôt c’est la protection du patrimoine, tantôt c’est la protection des arbres, tantôt c’est la protection des voisins, tantôt c’est la protection de l’agriculture. Tout cela existe dans d’autres cantons, mais à Genève, notre imagination est sans limite quand il s’agit d’ériger des obstacles à la réalisation d’un projet. Il suffit de voir le tollé d’oppositions qui se sont immédiatement levées lorsqu’un promoteur étranger a proposé de reconstruire Genève Plage et d’y accueillir une zone récréative ouverte toute l’année: même le Conseil d’Etat qui n’avait pas vu le projet a jugé bon d’exprimer sa désapprobation. Pourtant le type même de construction, devisée à 150 millions de francs, est l’exemple même d’un projet à la fois ambitieux pour Genève et parfaitement calibré pour les entreprises de construction locales.
Ce culte du blocage est particulièrement patent dans le domaine du logement. Genève a-t-elle une véritable volonté politique de construire des logements? On peut sérieusement en douter tant les nouvelles constructions se font attendre. Le moindre dossier met entre 5 et 10 ans pour aboutir. Construire à Genève est-il devenu une utopie au regard de la complexité pour obtenir des autorisations de construire ?
Le tableau que je viens de brosser peut sembler sombre, j’en conviens. Mais ce n’est pas une raison pour baisser le bras. D’abord, il existe une volonté politique de réagir. Cette volonté n’est pas encore assez forte ni assez structurée. Mais il existe des signes encourageants, comme le vote positif de la population de la Ville en faveur de l’extension de l’OMC, ou l’initiative populaire pour Genève Plage, qui semble bien marcher. Les gens en ont marre et sont fatigués des blocages. Pas seulement les gens du métier, mais l’ensemble de la population !
Il faut aussi signaler la volonté de simplifier les règlements et les procédures. Même s’il est encore trop timide, le mouvement est lancé. Enfin, il existe toujours des optimistes qui sont prêts à investir leur argent pour réaliser de nouveaux projets. Dieu merci, Genève conserve son pouvoir d’attraction. C’est un atout précieux.
Dernière raison d’espérer, le monde politique a, enfin, après des années de sous-investissement chronique, décidé de redresser la barre: depuis deux ans, le canton n’a jamais autant investi. La barre des 900 millions de francs annuels a été franchie. Le mouvement va continuer, il y a consensus sur ce point. Pour le moment, ces investissements restent limités aux projets publics: extension des HUG et du CMU, cycles et collèges, trams. Mais le logement devrait suivre, et c’est ce que nous espérons tous.
Et puis, il faut voir l’avenir. Si l’adjudication des travaux du CEVA est bien avancée, il n’est pas trop tard pour se préparer au chantier du siècle : la traversée du lac. Elle se fera, j’en suis sûr. Et dans ce projet-là, les entreprises genevoises doivent être impliquées. C’est là-dessus qu’il faut travailler, en s’associant, en travaillant sur les critères d’attribution mais aussi sur la préparation des dossiers AIMP, qui exigent une approche professionnelle. Voilà le défi qu’il nous faut tous relever ensemble, élus et entrepreneurs, main dans la main.
Et pour cela, je suis confiant car votre secteur a su montrer qu’il prenait son avenir en main et qu’il assumait ses responsabilités. Je pense ainsi à la formation professionnelle et à la préparation de la relève dont vous avez fait votre double priorité. La main d'oeuvre constitue votre bien le plus précieux, vous le savez. C’est ainsi que vos associations ont repris la responsabilité des cours interentreprises. Ce sont des gestes de ce genre qui assurent la pérennité d’une profession. Or ce qui a été fait dans le domaine de la formation professionnelle peut aussi être fait dans le domaine des procédures d’adjudication. Et là, vous pouvez compter sur notre soutien actif.
Pionniers, audacieux, visionnaires, entreprenants malgré toutes les vicissitudes, c’est ainsi que nous voyons les entrepreneurs de la construction genevois.
Longue vie à la Section Genève de la SSE, longue vie à toutes ses collaboratrices et collaborateurs et vive Genève !