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Les tabous et non-dits du drame syrien

Voilà déjà quinze mois que la Syrie est à feu et à sang. L’hécatombe n’est pas prête de s’arrêter. Au contraire, le conflit redouble d’intensité. Sur le terrain, les rebelles se sentent pousser des ailes grâce aux financements et aux armes livrées par l’Arabie saoudite et le Qatar via la Turquie, avec le soutien des Occidentaux, et font désormais jeu égal avec l’armée régulière de Bachar El-Assad, laquelle profite des tanks, canons et missiles de son allié russe. Et sur le front diplomatique, la mission de Kofi Annan bute contre l’obstination des Occidentaux à exiger le départ du président syrien comme préalable, et le refus tout aussi opiniâtre des Russes et des Chinois d’abandonner une partie qu’ils estiment pipée.
Dans un tel climat, le conflit, avec son cortège de massacres quotidiens, est parti pour durer longtemps, sur le modèle afghan. Le scénario libyen - une victoire rapide des rebelles – ne se répètera pas. Si l’on veut vraiment rétablir une paix durable et instaurer une démocratie digne de ce nom en Syrie, il convient de respecter davantage les faits et les forces en présence.
Premièrement, le régime baasiste du président Assad n’est pas aussi impopulaire qu’on veut bien le dire. Les laïcs, les femmes, les minorités religieuses, certains clans sunnites ne le trouvent pas aussi pendable que le voudraient les chancelleries et les medias occidentaux. La réalité est légèrement plus complexe que le cliché du gentil rebelle contre le méchant Assad. On n’est pas dans la Libye de Khadafi.
Il convient ensuite de voir qui sont les rebelles, qui les arme et dans quel but. Le renversement d’une dictature justifie-t-il qu’on soutienne n’importe qui n’importe comment, au risque de créer une poudrière salafiste ou de pérenniser une guerre civile au milieu du Moyen-Orient ? Une fois Assad parti, qui pourra empêcher les extrémistes islamistes de triompher et de liquider leurs adversaires laïcs?

Encore un mot sur le respect des droits de l’homme dont on semble faire grand cas en Syrie. Cette préoccupation est louable et chaque mort du conflit syrien est un mort de trop. Mais la façon dont l’Occident instrumentalise une fois de plus les Droits de l’homme dans ce cas précis décrédibilise beaucoup son action : comment expliquer cette focalisation sur la Syrie et ignorer le Kivu et ses millions de femmes violées et torturées, d’enfants tués, de paysans massacrés depuis dix ans dans l’indifférence totale des gouvernements et des medias occidentaux? Ces choix sélectifs n’encouragent pas les Russes et les Chinois à faire confiance aux Européens.
A terme, le départ d’Assad et la victoire des rebelles sont probables. Mais le vrai enjeu n’est pas là : il s’agit non pas de gagner la guerre, mais de gagner la paix. Et cela, c’est beaucoup plus difficile, car il faut accepter d’écouter toutes les parties en présence, représentants du régime baasiste et forces rebelles, ainsi que, sur le plan international, les Russes et les Chinois. Et même les Iraniens, pourquoi pas, puisqu’on tolère bien que le régime wahhabite saoudien arme les rebelles.
Une telle attitude signifie que l’Union européenne, qui a pris fait et cause pour les rebelles, retrouve ses habits d’arbitre, retrouve un zeste d’impartialité, et exige, comme le souhaite d’ailleurs Kofi Annan, que tous s’asseyent autour d’une même table, sans conditions préalables. Ainsi, exiger la tête d’Assad et son jugement pour crimes de guerre n’est pas de nature à créer un climat de négociations favorable et n’incite pas à la mansuétude sur le champ de bataille. En revanche, si l’Union européenne décide de faire pression sur les rebelles en restreignant les livraisons d’armes, de soutenir le plan Annan en forçant toutes les parties à négocier, et à donner des garanties pour que subsiste un certain équilibre des forces entre les laïcs et les religieux, entre la majorité sunnite et les minorités religieuses, tout redevient possible.
Le but n’est pas de garder ou d’éliminer Assad, mais de construire la Syrie de demain, en préservant son unité territoriale, sa diversité ethnique et religieuse, et ses grands équilibres internes. Cela suppose que les forces qui soutiennent encore Assad soient rassurées, aient le temps de s’organiser sur le plan politique et soient assez confiantes pour se passer de lui et se confronter aux islamistes victorieux sans craindre pour leur vie.
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