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Une impitoyable guerre économique

Pendant des décennies, l’économie suisse a prospéré, très bien d’ailleurs, dans l’ombre du pacte d’acier qui unissait les ténors de la finances aux grands capitaines d’industrie. Christoph Blocher, président d’une des grandes entreprises chimiques du pays, membre du conseil d’administration d’UBS et proche des milieux financiers zurichois, a longtemps incarné cette alliance du coffre-fort et de l’usine, huilée par l’échange continu de fauteuils d’administrateurs entre les deux cercles.
Mais voilà, l’union sacrée a volé en éclats. L’industrie a largué la finance et celle-ci, qui était habituée à dicter sa loi au reste du pays, est brutalement tombée de son piédestal. On peut symboliquement faire remonter cette rupture au 6 septembre 2011, quand la BNS a arrimé le franc à l’euro, et donc lâché les intérêts de la finance pour préserver ceux de l’industrie d’exportation. Un taux de change fixe s’accommode en effet fort mal avec la liberté totale des capitaux dont les milieux financiers font leur miel.
Cette décision, il est vrai, est intervenue après des années de fragilisation de la planète financière suisse. La crise de 2008, le sauvetage d’UBS, les attaques répétées contre la place financière en provenance des Etats-Unis et de l’Union européenne, tout cela a contribué au lâchage de la finance par l’industrie. L’affaire du franc fort fut simplement l’occasion de porter le coup de grâce. Pour l’industrie, il s’agissait de sauver sa peau, et il n’y avait plus à hésiter.

Pour la finance, le coup est rude, car elle vient de perdre son meilleur allié domestique. Les Novartis et autre Roche, qui font les trois quarts de leurs bénéfices aux Etats-Unis et dans l’Union européenne, n’ont plus aucun intérêt à défendre le secret bancaire ni à se compromettre avec des banques harcelées par les fiscs étrangers. Attaquée à l’extérieur, privée de soutien fort dans le pays, la place financière se bat donc dos au mur pour faire admettre le principe Rubik et négocier des accords fiscaux acceptables avec la France, l’Allemagne et les Etats-Unis. Sa position est encore aggravée par les dissensions internes : les intérêts des deux grandes banques, UBS et Credit suisse, actives partout dans le monde et dans tous les domaines, divergent radicalement avec ceux des banques privées et des gestionnaires de patrimoine. Sauver le secret bancaire, même partiellement, dans de telles conditions, relève tout simplement du miracle.
On dira que la place financière l’a bien cherché, elle qui a fait du secret bancaire et de l’évasion fiscale son modèle d’affaires pendant des décennies. Cela lui a permis de devenir l’une des plus compétitives du monde mais aussi de multiplier les dérives et les excès. La jésuitique distinction entre évasion et fraude fiscale, défendue avec brio par les riches avocats médiatiques de la place, ne pouvait longtemps abuser la patience des Etats lésés, tandis que des bonus extravagants achevaient de discréditer hauts dirigeants et traders. Et d’autres places financières, comme Londres ou Singapour, qui n’avaient pas de secret bancaire à vendre mais des réseaux de places offshore et un système de trust moins spectaculaire mais juridiquement plus solide, se sont mises à relever la tête. Voilà pourquoi, aujourd’hui, on découvre que nos banquiers, comme les rois, sont nus.
Cela n’est peut-être pas tout à fait immérité mais cela ne devrait en aucun cas nous réjouir. D’une part parce que la Suisse n’a aucun intérêt à voir sa place financière durablement affaiblie. Elle y perdrait un avantage comparatif substantiel dans la compétition mondiale. Et aussi parce que le triomphe momentané de l’industrie n’annonce rien de bon non plus. La cupidité y est pareille même si son image est un peu meilleure. La pratique des salaires extravagants et des parachutes dorés y est encore plus révoltante que dans la banque – rappelons que M. Vasella, président de Novartis, a longtemps été le patron le mieux payé du pays. Et la bonté d’âme des industriels ne vaut pas mieux que celle des banquiers, comme le prouve le comportement de Merck Serono qui licencie à Genève puis en Allemagne, afin de faire monter le cours de ses actions en bourse.
L’économie capitaliste est coutumière de ces batailles homériques et il n’y a rien de nouveau sou le soleil. Sauf que, pour la première fois, c’est la finance qui est en mauvaise posture et qu’il incombe de sauver…

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