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Calvin, Rousseau, Dunant, au secours ! Revenez vite!

Mais quelle guêpe venimeuse a piqué Genève ? Depuis quelques années, le vent mauvais de la xénophobie, de la haine, du soupçon permanent contre l’étranger, le frontalier, le requérant d’asile souffle sans pitié dans toutes les rues du canton et jusqu’aux sommets de l’Etat, qui se met à prêcher pour une « préférence cantonale » dont on se demande quel sens elle peut avoir alors qu’hier on vantait les bilatérales et la libre circulation !
C’est frappant de voir combien ce canton si fier de son ouverture et de sa Genève internationale, qui se prétend être la capitale mondiale d’à peu près tout, des droits, de l’homme, de la santé, de la propriété intellectuelle ou de la physique des particules, peut devenir tout à coup mesquin, étroit, rabougri, ratatiné. On se glorifie de Calvin, on cultive la nostalgie de la « Rome protestante », on montre avec fierté aux touristes la maison natale de Rousseau et le jardin des Délices de Voltaire, on se félicite d’avoir donné naissance à Henry Dunant et à la Croix-Rouge, on débauche sans vergogne les infirmières et les médecins européens pour soigner nos malades, et, dans le même temps, on fait la chasse aux cadres français dans les hôpitaux, on blackboule le patron de la deuxième entreprise du canton parce qu’il avait le tort d’habiter vingt kilomètres trop loin pour présider pour présider les transports publics, et on passe au crible l’administration pour être sûr qu’un frontalier n’a pas usurpé son poste.

L’écrivain Robert de Traz, en bon patricien de la Rue des Granges, avait bien identifié le phénomène, lui qui s’était fait l’apôtre de la « capitales des nations » et de l’esprit de Genève, cette disposition particulière qui fait de notre République un lieu privilégié de dialogue et de résolution des conflits, tout en lui opposant l’esprit genevois, cette inclination tout aussi présente à dénigrer, à envier, à médire, à se venger des têtes qui dépassent et à se méfier de toutes et de tous surtout quand ils sont étrangers.
Cette tension entre l’ouvert et le fermé, entre la bassesse et les sommets, entre le génie universel et le la mentalité d’épicier borné est permanente dans l’histoire genevoise. Au XVIe siècle déjà, aux débuts de la Réforme, les mal-nommés « Enfants de Genève » tabassaient les Savoyards, les Lyonnais, les Allemands qui fréquentaient nos foires et avaient le malheur de se plaire dans notre ville. Au XVIIIe siècle, les querelles entre citoyens et « natifs » (résidents étrangers nés à Genève) empoisonnaient déjà le climat politique et social, les premiers reprochant aux seconds de leur faire une concurrence déloyale et les autres se plaignant d’être évincés des fonctions politiques. Et in ne dira rien sur les calamiteuses années Trente et les séides de l’Action nationale, et sur le mouvement Vigilance dans les années 1960-1980, dont les admirateurs ont refait surface dans la mouvance national-cantonaliste d’aujourd’hui.
Faute d’être nouveau, ce phénomène, qui ressurgit chaque fois que le canton change d’échelle, est toutefois préoccupant, parce qu’il semble désormais avoir contaminé les esprits à tous les échelons de la société civile et politique. Ce qui signifie qu’on s’en accommode et que l’ardeur à le combattre mollit terriblement. Au moment où l’on construit l’agglomération, où l’on créée des passerelles nouvelles avec la région françaises et vaudoise, où la traditionnelle industrie financière doit se reconstruire face à la concurrence mondiale, cette démission ne laisse pas d’inquiéter.

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