Sotchi et la mode du « russian bashing »
On connait la recette romaine pour tenir tranquille le bon peuple : « du pain et des jeux ». Du pain, nous en avons plus qu’assez, en tout cas dans nos riches pays occidentaux. Mais quid des jeux ? En proscrivant les jeux du cirque et les exécutions publiques, les citoyens-spectateurs de nos paisibles démocraties semblent désormais manquer cruellement de sensations fortes. Heureusement, les coupes du monde de foot et les jeux olympiques tentent, tant bien que mal, de combler cette frustration.
Avec les JO de Sotchi, on a été particulièrement gâté.
Les médias, qui servent toujours de caisses de résonance aux angoisses populaires, se sont déchainés comme jamais ils ne l’avaient encore fait contre un pays hôte des jeux. Même la Chine, dont le régime est pourtant cent fois moins libéral et démocratique que celui de la Russie, n’avait pas eu droit à un tel traitement. Pendant des semaines, tout y a passé. Poutine a subi une campagne de dénigrement que même François Hollande n’aurait pas pu imaginer aux pires moments du « Hollande bashing ». Le choix du site, le montant des investissements, la qualité de la neige, la recherche du prestige au détriment de la protection de la nature, la corruption, la menace terroriste, la colère des familles expropriées, tout a été mis en cause, montré, analysé, commenté, vilipendé jusqu’à l’indigestion. On a même été jusqu’à fouiller dans les décharges et les égouts, à inspecter les robinets de douche et à disséquer la moindre phrase d’une Pussy Riot. Et cela jusqu’au dernier jour. Et même la cérémonie d’ouverture, pourtant très réussie, a été l’occasion des sarcasmes les plus outrageants. Un anneau olympique qui ne s’allume pas et qu’on remplace par une image préenregistrée (ce qui se fait partout même à la RTS) ? Une manipulation scandaleuse !
Ce traitement partial aussi pour l’Ukraine : la Russie offre 15 milliards à un pays asphyxié par le FMI et négligé par l’Europe, qui ne veut surtout pas bourse délier ni lui ouvrir ses frontières ? Elle « achète » le pays. A peine Moscou émet-elle un commentaire qu’on dénonce une « ingérence inadmissible », alors que les émissaires européens et les chancelleries occidentales ne cessent de s’immiscer dans le débat interne et de défiler auprès des manifestants. La Syrie ? C’est la faute de Moscou, bien sûr. Et pendant ce temps on fait silence sur les massacres en Irak, en Afghanistan ou en Libye, pays à feu et à sang, mais si bien libérés par les armées de l’OTAN que là le sang ne compte plus.
J’arrête ici parce qu’on va me faire passer pour un suppôt de Poutine. Et je m’empresse de reconnaitre que toutes les critiques adressées à la Russie et aux JO ne manquent pas de pertinence. Mais par leur côté biaisé, unilatéral, partiel, elles offensent à la fois la réalité et le bon sens. Car les choses ne sont pas exactement comme on les présente. Nous n’aimons pas quand la presse étrangère dépeint la Suisse uniquement sous les traits d’une nation profiteuse qui s’enrichit sur le dos des autres par le biais de la fraude fiscale. La Suisse, un pays de malhonnêtes ? C’est (très partiellement) vrai et largement faux. Alors pourquoi, faisons-nous de même avec les autres ?