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L’expérience fédérale plutôt que des sanctions

En janvier 2006, un an après la première révolution orange, j’avais été invité à Kiev pour donner des cours de journalisme à des jeunes journalistes aussi passionnés d’Europe et de renouveau que les jeunes qu’on a pu voir sur la place Maidan en février dernier.
Au troisième jour d’échanges, après avoir mieux fait connaissance, la discussion s’engage sur le terrain politique et je décris la pratique suisse en soulignant les avantages à la fois politiques et médiatiques de notre système : représentation équitable de la diversité linguistique et religieuse, respect des minorités, presse plus diversifiée car plus proche de ses lecteurs et moins dépendante des grandes chaînes étatiques ou privées. J’ose un conseil : si la Suisse possède quatre langues officielles, pourquoi l’Ukraine n’en reconnaitrait-elle pas deux, l’ukrainien et le russe, ce qui aurait pour avantage d’apaiser les tensions, de stimuler les cultures et de favoriser la démocratie et la liberté, chacun étant libre d’exprimer ses choix politiques et d’éduquer ses enfants dans la langue et la culture de son choix ?
Quelle inconscience ! Quel sacrilège ! En moins de deux minutes la salle était prête à remonter aux barricades. Pas question de reconnaitre le russe comme seconde langue nationale!
Huit ans et une nouvelle révolution plus tard, le problème reste toujours aussi brûlant et sa solution plus lointaine que jamais. A peine avaient-ils conquis le pouvoir que les nouveaux dirigeants de Kiev abolissaient la seule réforme utile de l’ex-président Yanoukovitch, qui fut la reconnaissance du russe comme seconde langue officielle. Et désormais les thuriféraires du nouveau régime ukrainien passent leur temps à proclamer que cette révocation était sans importance et a été exagérément gonflée par les partisans de Moscou.

Et pourtant, elle est au cœur même du drame ukrainien. On peut passer son temps à se déchirer pour savoir si les Russes sont de méchants impérialistes, si Poutine est l’héritier de Staline ou de Hitler (il faut décider : il ne peut pas être les deux en même temps !), si le vote des Criméens est plus ou moins légal que le nouveau gouvernement de Kiev ou si les Ukrainiens occidentaux sont des fascistes vendus aux Etats-Unis et à l’Union européenne, cela ne mènera à rien tant que les Ukrainiens eux-mêmes n’auront pas accepté qu’ils sont composés de deux langues, deux cultures et deux grandes religions différentes. La compassion victimaire et la vulgate médiatique dominante empêchent de voir la réalité telle qu’elle est, à savoir que les principaux ennemis de l’Ukraine ne sont ni les Russes ni les Occidentaux, mais les Ukrainiens eux-mêmes. Tant qu’ils n’auront pas fait cet effort intellectuel et politique, leurs grands voisins auront beau jeu d’attiser leurs querelles internes et de les diviser entre pro-occidentaux d’un côté et pro-russes de l’autre.
Avec ses ressources et sa population bien formée, et en acceptant d’adopter une neutralité à la suédoise ou à la suisse et de se doter d’une structure fédérale respectueuse des minorités, l’Ukraine a tout pour réussir et pour devenir le pivot stable d’une relation apaisée entre l’Europe et la Russie. La Suisse, qui a longtemps été ballotée entre les grandes puissances avant de devenir un îlot de stabilité européen, a acquis une grande expérience dans ce domaine. A elle de la faire partager aux Ukrainiens, non pas en copiant-collant son système (qui relève de l’horlogerie et de la haute complication), mais en développant une véritable pédagogie des avantages du fédéralisme et du neutralisme.

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