A Herbriggen, un chemin raide à ferrer les poules
Si l’étape d’hier a été pénible à cause d’une descente interminable - presque 2000 mètres de dénivellation – et scabreuse, l’étape d’aujourd’hui va s’avérer de loin la plus éprouvante de tout ce périple en terme de la montée. C’est moins le dénivelé, 1600 mètres tout de même, que la nature du sentier, escarpé, raidissime, hasardeux, vertigineux parfois, chauffé à blanc par le soleil la plupart du temps. Souvent, il grimpe face à la pente et il faut se mettre à quatre pattes et s’agripper aux rochers pour ne pas basculer dans le vide, en évitant de regarder en bas pour escalader des parois rocheuses qui paraissent sans fin. Plus vraiment de mon âge… A mi-parcours, je me fais devancer par un couple de jeunes Biennois qui semblent survoler tout ça d’un air léger, quoiqu’ils transpirent abondamment aussi et finiront par faire une pause un peu plus haut… Plus tard, à la cabane, ils me concéderont d’ailleurs un compliment. La jeune fille me dira qu’elle sera contente de grimper comme moi quand elle aura mon âge. Vu sous cet angle, le poids des années devient plus acceptable…
La journée avait pourtant bien commencé, avec une heure de marche tranquille et bien au frais entre Saint-Nicolas et Herbriggen, et quelques savoureuses cerises sauvages au début de la montée.
Mais très vite, je perds le chemin à cause de travaux d’endiguement qui labourent la forêt et j’ai de la peine à le retrouver au milieu des rochers, des troncs d’arbres et des branches de sapin coupées qui jonchent le sol. Le calvaire commence aussitôt. Les panneaux annonçaient quatre heures de marche. J’en mettrais six. Une fois sorti de la forêt, le soleil tape dur. Les barres de rochers se succèdent les unes après les autres et semblent autant de forteresses infranchissables. Le chemin taille sa voie, par des escaliers, le long d’arêtes assurées par des cordes. Les bretelles du sac, alourdi par trois litres d’eau, m’arrachent les épaules et j’ai l’impression d’être happé par le vide à chaque faux mouvement.
C’est d’autant plus frustrant que je ne peux que m’en prendre qu’à moi-même puisque personne ne m’a imposé cette épreuve.
A 2600 mètres, à un endroit appelé Galenberg, le sentier rejoint enfin le Chemin de l’Europe qui arrive de Grächen mais qui a été fermé à cause des éboulements et des chutes de pierre qui rendent le trajet dangereux. Un étudiant russe vivant en Allemagne achève sa pause et nous tentons quelques échanges. Il a l’air solide et bien équipé. Mais il est ambitieux car il voudrait redescendre sur Grächen avant le soir, soit un parcours de presque 40 kilomètres en un jour. Je le convaincs de descendre sur Herbriggen.
A partir de là, le chemin suit le flanc des Mischabel, entre 2200 et 2500 mètres d’altitude, tantôt montant, tantôt descendant selon les torrents, couloirs, pierriers et autres barres rocheuses. A un moment donné, un éboulement a emporté le chemin et il faut faire un long détour par les hauteurs pour l’éviter.
Finalement, en fin de journée, après huit bonnes heures de route, j’arrive au refuge épuisé, toutes mes bouteilles d’eau vides. Petite douche et une heure de repos complet sur ma paillasse. J’ai des douleurs partout et je n’aurai imaginé que mon corps puisse abriter autant d’endroits susceptibles de faire mal.
Une douzaine d’Alémaniques se partagent la cabane. Je suis le seul francophone. A la tombée, de la nuit, trois bouquetins viennent lécher les rochers sous la terrasse, sans se gêner. Après tout, ils sont chez eux davantage que nous…