Les dessous de la guerre du Karabagh
Contrairement aux apparences, la guerre actuellement en cours au Karabagh n’a pas éclaté par hasard, à la suite d’une escarmouche qui aurait mal tourné. L’attaque de l’Azerbaijan contre l’enclave arménienne a été pensée et planifiée depuis des semaines.
Cet été, des exercices militaires conjoints avec la Turquie ont servi à préparer l’assaut, de même que le survol des frontières arméniennes par des avions de reconnaissance turcs et l’importation de centaines, et probablement de milliers, de djihadistes de Syrie et de Libye. Ces combattants, comme l’a reconnu Emmanuel Macron, ne se sont pas retrouvés dans le Caucase pour y passer des vacances.
Après cinq jours de combat, malgré l’importance des moyens engagés, les forces arméniennes ont résisté et même infligé de lourdes pertes à leurs adversaires azéris, turcs et djihadistes. Près de 200 véhicules blindés, des dizaines de drones (livrés par Israël), une vingtaine d’hélicoptères et des milliers de combattants azéris ont été mis hors de combat. Deux cents personnes ont été tuées côté arménien, dont la moitié de civils victimes de bombardement.
Les Arméniens se battent pour leur patrie, les Azéris pour un territoire qui n’a jamais été le leur avant que Staline ne le leur donne en 1921. Les Arméniens ne peuvent pas non plus oublier le génocide dont ils ont été victimes en 1915 du fait des Turcs. Ceux-ci ne l’ont jamais reconnu, à l’inverse des Allemands pour l’Holocauste. La blessure reste donc intacte. Enfin, ils luttent pour conserver l’indépendance d’une région qui avait été acquise au prix de 30 000 morts entre 1989 et 1994. C’est ce qui fait la différence sur le champ de bataille.
Pour l’Azerbaijan, qui est dirigée par la même famille Alyiev depuis trente ans, il s’agit de maintenir en vie un régime affaibli par la chute des revenus pétroliers et dont l’économie est entièrement contrôlée par la famille du président. L’Azerbaijan joue gros dans cette bataille. En invitant des islamistes sunnites dans un pays très majoritairement chiite et comprenant des minorités d’origine iranienne comme les Talych, il risque de raviver les tensions ethniques internes si le conflit devait s’éterniser.
Mais l’enjeu de cette bataille dépasse de loin les frontières de ces deux États caucasiens.
La Turquie poursuit de son côté sa stratégie qui consiste à semer le chaos dans tous les pays de sa périphérie proche et qui faisaient partie de l’ancien empire ottoman. Après l’invasion de Chypre en 1974, l’ingérence en Syrie en 2011 et en Libye en 2019, la remise en cause des frontières maritimes avec la Grèce cet été, l’Arménie et le Karabagh lui offrent l’opportunité d’ouvrir un nouveau front dans le Caucase. Jusqu’ici, cette stratégie a payé, la Turquie finissant toujours par empocher une partie de la mise.
Enfin, du fait des alliances militaires, cette guerre a le potentiel de dégénérer en conflit généralisé, la Turquie étant membre de l’OTAN tandis que l’Arménie est liée à la Russie par un traité de sécurité collective, la présence d’une importante base russe près d’Erevan et l’achat de nouveaux avions le 1er septembre dernier.
Depuis l’époque romaine, l’Arménie a toujours joué le rôle de verrou du Caucase et de pivot entre l’Orient et l’Occident. A l’époque, Romains et Perses sassanides se battaient pour imposer leur influence à l’Arménie. Deux mille ans plus tard, ce conflit continue car l’Arménie commande à la fois la route du nord et du sud, entre le monde slave et le monde arabe, mais aussi un axe central de la Route de la soie, entre la Méditerranée et l’Asie centrale.
Laisser tomber ce verrou constituerait non seulement un crime de non-assistance à peuple en danger mais une faute géopolitique grave pour l’Europe.