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Bons sauvages et mauvais civilisés

Rousseau gravure aime ton pays.jpgEn 2012 on fêtera le 300e anniversaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau. A Genève et ailleurs dans le monde se mettent en place des comités et des initiatives pour commémorer celui qui fut l’un des plus grands penseurs que la Suisse ait jamais enfanté. Ce n’est que justice, tant sont devenus grands l’oubli, les malentendus, voire le mépris qui frappent sa pensée.

Sa critique sociale radicale, à commencer par son discours sur les origines de l’inégalité qui en fit l’un des inspirateurs de la révolution française avec les autres rédacteurs de l’Encyclopédie, lui a valu un large ostracisme de la bourgeoisie et des intellectuels qui en étaient proches.

On a aussi monté en épingle quelques-uns de ses propos les plus fantaisistes pour disqualifier son approche de l’éducation. Et enfin, on a tourné en ridicule sa phrase « l’homme naît bon mais la société le corrompt » pour lui faire dire le contraire de ce qu’elle voulait dire et faire de son auteur le glorificateur de l’état naturel au détriment de la civilisation et du progrès.

Or, comme le fait admirablement remarquer Claude Lévi-Strauss dans Tristes tropiques, Rousseau, au contraire de Diderot, « n’a jamais commis l’erreur d’idéaliser l’homme naturel ». Il n’existe pas plus de « bon sauvage » que de « mauvais civilisé » à ses yeux. Ce que cherchait Rousseau, c’est à réconcilier l’individu et la société, à assurer le bonheur du premier sans détruire la seconde ni entraver le progrès. La vie en société – chacun en fait l’expérience tous les jours – se paie au prix fort par les individus : violences, exclusions, inégalités, agressivité, compétition, guerres. Il doit donc exister d’autres formes de vie sociale qui évitent ces désagréments. Et de chercher des solutions en analysant les choix que l’homme a faits depuis ses débuts dans la vie en société à l’ère néolithique et en examinant comment les sociétés non-européennes ou « primitives » avaient tenté de résoudre ces difficultés. D’où les idées développées dans le Contrat social, que l’on s’empresse trop vite de classer dans la catégorie « Utopie » pour les discréditer.

Car les maux du XVIIIe siècle restent les mêmes, quand ils ne se sont pas aggravés. Certes des progrès notables – pensons par exemple aux droits de l’homme et à la santé – sont à mettre à l’actif de la civilisation. Mais à quel prix ? Les droits de l’homme sont loin d’être universels et sont déniés par les sociétés riches lorsqu’ils s’avisent de s’appliquer aux droits matériels du tiers monde (logement, alimentation, éducation, travail…) Et les progrès de la santé ont provoqué une explosion démographique que la « civilisation » s’est chargée de réguler par des guerres incessantes, des génocides et autres famines. A cela vient d’ajouter depuis quelques décennies la destruction organisée de la nature elle-même, des ressources, forêts, air, eau potable, paysages, flore et faune.

Si notre civilisation veut survivre, elle devra donc bien adopter un nouveau contrat social et trouver une nouvelle formule pour faire coexister nature et société humaine. Rousseau peut nous y aider, même si cela ne plaît pas aux riches que nous sommes.

Guy Mettan, directeur exécutif du Club suisse de la presse

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