Nouvelle Némésis médicale?
C’est en 1975 qu’Ivan Illich, dans son petit essai intitulé la Némésis médicale, dénonçait les dérives d’un système médical devenu fou. Il y montrait comment l’entreprise médicale, devenue incontournable, mettait en danger notre société en expropriant en quelque sorte le malade de sa maladie, en imposant un système extrêmement coûteux mais impuissant à réduire dans les faits la morbidité générale et en rendant l’individu dépendant et désarmé face aux techniques et aux pouvoirs sacralisés de la médecine.
37 ans plus tard, où en est-on ? Lucidement, on doit admettre que le système, loin de se corriger, a encore accentué ses défauts. Seule évolution manifeste : dans une société obsédée par son vieillissement, les critiques se sont déplacées du tout vers les parties, vers les acteurs pris isolément : caisses maladie, Etat incapable de réguler, hôpitaux démesurés, multinationales pharmaceutiques et, plus rarement, vers le corps médical.
Je suis de ceux qui pensent que la santé est un secteur économique très honorable, et même bien plus honorable et utile que beaucoup d’autres tels que l’industrie d’armement ou le blanchiment d’argent dans les paradis fiscaux. Et je suis convaincu qu’il est un des atouts majeurs de la Suisse, laquelle, grâce à ses pharmas, ses cliniques, ses médecins de pointe, peut à la fois assurer un haut niveau de vie à sa population et attirer des clients extérieurs.
Mais en même temps il faut reconnaître qu’il existe, dans le secteur de la santé, une surchauffe, une course en avant, des excès d’investissements qui peuvent s’avérer tout aussi explosifs, à long terme, que les bulles immobilières et financières l’ont été récemment.
Et cela, alors qu’il existe de furieuses disparités et tensions internes : certains n’arrivent pas à nouer les deux bouts alors que d’autres collectionnent les Ferrari, on manque cruellement d’infirmières tant le métier est devenu exigeant et le diplôme difficile à décrocher, et on devra bientôt affronter une pénurie de médecins généralistes hors des grandes villes.
Ne désignons pas de coupables, ni de boucs émissaires car nous conspirons tous à cette spirale infernale : patients jamais satisfaits, entreprises insatiables, praticiens parfois avides. Mais pensons-y au prochain bobo.