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Planète bleue - Page 107

  • La crise fait bouger les fronts!

    La crise est évidemment dramatique pour tous ceux qui en sont les victimes, et il serait fort malvenu de s’en réjouir même si certaines d’entre elles sont les mêmes qui ont exagérément profité des années de prospérité. Mais, comme disent les Chinois, la crise est aussi une chance, une opportunité dont on commence à entrevoir les perspectives.

    Et la perspective la plus réjouissante, c’est que tous les fronts, jadis figés par la recherche du gain maximum et les tabous idéologiques, se sont remis à bouger. Voyez le secret bancaire. Il y a six mois, l’inconscient qui aurait remis en cause le principe du secret pour l’évasion fiscale se serait simplement fait embrocher vif, comme l’a d’ailleurs rappelé le président de la Confédération Han-Rudolf Merz. Or aujourd’hui, ce sont les banquiers et les libéraux eux-mêmes qui acceptent d’abandonner la distinction entre évasion et fraude fiscale. Un saut qualitatif important sur le plan moral, qui déstabilisera temporairement la place financière mais qui ne l’ébranlera pas tant qu’on pourra éviter l’échange d’information automatique.

    Voyez l’Europe. Une petite phrase de Couchepin en Autriche et le débat sur l’adhésion est relancé, alors que le Conseil fédéral avait enterré et congelé le projet depuis les années 2000 et que les bilatérales étaient devenues l’horizon indépassable de notre politique européenne. Voyez l’environnement. Les Etats-Unis et certains milieux de droite s’obstinaient depuis la Conférence de Rio en 1992 à nier le réchauffement climatique et la nécessité de réduire les émissions de C02. Et il a suffi de quelques mois pour que l’élection de Barack Obama change la donne et que le développement des énergies renouvelables et les économies d’énergie deviennent des buts officiels du programme du gouvernement américain. A quand la révolution copernicienne qui consisterait à inclure dans le calcul des coûts d’un produit et d’un service ce que les économistes appellent des externalités (coûts environnementaux) ?

    Voyez enfin, question beaucoup plus sensible, le problème de la justice. Depuis dix ans, les grands patrons et leurs supplétifs dans les parlements expliquaient que les parachutes dorés, les bonus et les salaires astronomiques des managers et des administrateurs n’étaient que la récompense légitime de leurs responsabilités et de leur abnégation sans pareille au travail. Mais comment justifier qu’un grand patron gagne 500 à 700 fois le salaire de son employé le moins payé, comme c’est devenu la règle aujourd’hui? Les journées n’ayant que 24 heures, peut-il travailler 4000 heures par jour et, à responsabilités égales, gagner cent fois plus que le patron d’une PME ? La remise en cause des bonus par Barack Obama, Nicolas Sarkozy et une opinion publique lassée de ces excès est en soi une bonne nouvelle car elle vient réinjecter de la concurrence dans un cartel très fermé et qui, de plus, a largement failli à ses devoirs. Davantage de justice évitera une explosion sociale lorsque les tensions engendrées par la montée du chômage deviendront palpables. De cela, on peut se réjouir.

  • Confession d'un converti au vélo

    Je dois faire un aveu: pendant longtemps j'ai été agacé par ces cyclistes qui brûlaient les feux, roulaient sur les trottoirs et semblaient bafouer les règles de la circulation. Et puis, le vélo m'avait toujours semblé une mode, un gadget bienpensant bien dans l'air du temps. Jusqu'à ce que, voici trois semaines, une bielle coulée de mon scooter m'incite à sortir du garage le VTT qui y sommeillait depuis des années.

    Et alors, ô miracle, voilà que, de nécessité faisant loi, je me suis pris à prendre du plaisir à ces pérégrinations vélocyclépiques dans notre bonne ville. Ce n'est pas que ce soit marrant tout le temps - on ne se rend pas vraiment compte que Genève est pleine de côtes et que le trajet quotidien Terrassière-Intercontinental regorge de pentes. Mais il y a d'heureuses compensations. D'abord, on découvre la ville sous un autre angle: on cherche les meilleurs trajets, les rues les plus sympas, et on peut composer son itinéraire en toute liberté. Il n'y a pratiquement pas de contraintes à part les limites de ses mollets.

    Ensuite les temps de parcours restent très raisonnables. Expérience faite et chronomètre en main, le déplacement en ville est plus court en vélo qu'en voiture, surtout si on compte le temps de parcage. Il est en revanche un peu plus long qu'en scooter mais à 10 minutes près, ce qui reste très acceptable si on prend en compte l'exercice physique qu'il vous permet d'économiser.

    Du coup, j'ai même acquis un casque, une vignette et des phares. Reste maintenant à transformer l'essai - le vélo au moins un jour sur deux - et à attaquer le Tour de France au mois de juillet.

  • Crise: ferions-nous tout faux?

    La semaine dernière, la grande conférence que le Prix Nobel d’économie Joseph Stieglitz a donnée au BIT sur la crise et le travail décent fut l’occasion de soulever quelques questions roboratives sur la manière dont les économies occidentales envisagent la lutte contre la récession.

    A tel point qu’on peut se demander si l’on n’est pas en train de faire tout faux. Un exemple : plutôt que de sauver les banques en difficulté et conserver aux commandes leurs managers coupables en sortant les actifs toxiques pour les mettre dans des structures séparées garanties par l’Etat ou en les nationalisant pour éviter que les branches pourries ne contaminent le reste des activités et fassent périr l’organisme tout entier, n’aurait-il pas mieux valu faire l’inverse ? C'est-à-dire sortir les actifs sains et les placer dans une banque nouvelle, avec un management neuf, que l’on aurait ensuite pu revendre sans peine puisque qu’une banque saine trouve toujours des actionnaires pour la soutenir. Et laisser la vieille structure nécrosée avec son management et ses actionnaires avides tomber en faillite et périr de sa belle mort. On aurait ainsi séparé le bon grain de l’ivraie et rétabli la confiance autour de nouvelles banques plus petites mais profitables plutôt que de gaspiller l’argent du contribuable pour maintenir en vie des géants opaques au diagnostic fort incertain.

    Autre idée: depuis que l’on constate que la crise financière frappe de plein fouet l’économie réelle et tue la demande solvable et l’investissement des entreprises – et est donc en train de détruire massivement les emplois – n’y a-t-il pas lieu d’agir directement sur la demande et sur les entreprises plutôt que d’injecter des centaines de milliards dans un système financier qui congèle cet argent pour assainir ses bilans ? On voit bien que les milliards injectés ne font pas redémarrer les moteurs de l’économie, qui reste toujours calés. N’est-on pas en train de se tromper de bénéficiaires, en misant trop exclusivement sur des acteurs incapables de relancer la machine ?

    Dernière observation : en six mois, la crise a ravagé un bon quart de la richesse mondiale. Cette destruction sans précédent de capital équivaut quasiment à une guerre mondiale. Or le seul moyen de reconstituer ce capital, c’est le travail, c'est-à-dire l’emploi, lequel passe par une stimulation de la demande. Or cette demande existe, sauf qu’on ne veut pas la voir dans les milieux financiers : il s’agit du rattrapage environnemental, de la lutte contre le réchauffement climatique, de la conversion de la production d’énergie vers le renouvelable et les économies et, surtout, du développement des économies du sud qui regorgent de consommateurs potentiels aux besoins illimités. Si la publicité, qui sait si bien nous vendre des produits dont on n’a pas besoin, se mettait à vanter des produits, des services, des techniques directement utiles, le consommateur ne serait plus si blasé. Mais ce serait une révolution.